Mauvaises herbes, Dima Abdallah

Dima Abdallah raconte. Elle raconte son Liban et son père, son père et son Liban, tous deux inextricables parties d’elle-même qu’elle doit pourtant laisser partir.

Née à Beyrouth, au cœur de la guerre civile, auprès de la mer plus bleue que nulle part ailleurs, auprès de son géant et entourée de plantes aromatiques et de mauvaises herbes, elle pousse un peu de travers, mauvaise herbe elle-même, différente, inadaptée, silencieuse. Elle ne pleure pas quand explosent les bombes, reste seule, ne parle pas beaucoup, même à ce père qu’elle adore, ce père à la main rassurante, immense, qui enveloppe ses petits doigts et la maintient au sol, comme une ancre qui lui permettrait de rester amarrée à la vie. Les chapitres se suivent, les voix s’alternent, le « je » devenant « il » puis redevant « elle », le géant et sa fille parlant chacun leur tour. Ils disent leur amour et leur mal-être, mal-être proportionnel à la guerre, mal-être croissant alors que la séparation devient inéluctable. Il est son pays, il incarne sa terre natale, ne peut partir. Le Liban est plus sien que les siens. Alors la narratrice, sa mère et son frère décollent, loin, et la douleur de l’éloignement engourdit peu à peu les mots si beaux de l’auteure, à la même consonance mordante mais d’une suavité chantante que ceux de Ça raconte Sarah. Les tirets et les guillemets n’existent pas dans ces pages, laissant le récit se dérouler, tantôt haché, tantôt mouvant, aqueux, terre à terre et éthéré. Fleuries, ses phrases n’ont pas peur de la répétition, inlassables anaphores et poème rythmé et mélodique qui raconte la douceur de l’air malgré la guerre et l’âpreté de la distance, l’âpreté de la solitude pourtant chérie par l’un et par l’autre des deux héros.

Cette rentrée littéraire aura été celle des premiers romans, souvent poétiques, bouleversants, et pourtant tous différents. Des kilomètres à la ronde et sa ruralité lumineuse ; La petite dernière et son rythme haletant et rugueux ; Mauvaises herbes et l’amère douceur de la vie, des effluves aromatiques, des rayons du soleil, des trottoirs parisiens et des routes libanaises terreuses et trouées. Encore plus après l’incendie du mois dernier, ce livre est un hymne à ce pays si malchanceux, et un hymne à la famille.

Ce roman, coup de cœur, est le lauréat du Prix Envoyé par la Poste 2020.

Les éditions Sabine Wespieser en parlent ici.

Un grand merci à Lireka pour ce partenariat.

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