Le mariage, Dorothy West

Dans ce roman originellement paru en 1995 mais commencé par Dorothy West des années plus tôt, l’autrice s’appesantit sur les questions raciales et sociales qui agitent les États-Unis depuis des siècles. D’ailleurs, si Le mariage est ancré en 1953, il aime à explorer les décennies précédentes, faisant dialoguer plusieurs passés tout en donnant l’impression d’évoquer une réalité toujours plus ou moins frappante.

Sur un ton parfois moqueur, Dorothy West met en scène une communauté noire-américaine concentrée dans l’Oval, sorte de Wisteria Lane noire de Martha’s Vineyard, quartier d’où suintent apparemment la richesse et le bonheur. La famille qui règne sur ce petit monde depuis la maison en haut de la colline, les Coles, ont pour majorité la peau d’une pâleur à faire rougir un Blanc, et une fortune confortable.

Le teint de rose et la blondeur de la plus jeune des filles Coles, Shelby, ne l’empêche pas d’affirmer haut et fort son appartenance à la communauté noire. En dépit de son discours, elle s’apprête à épouser Meade, un pianiste blanc sans le sou, ce que ses parents désapprouvent, tout comme ils ont désapprouvé l’alliance de son aînée à un homme dont le teint rappelait trop l’ébène.

Les mariages mixtes ne sont pas nouveaux chez les Coles, comme Dorothy West le raconte peu à peu, faisant éclore de nombreuses analepses pour dévoiler la vie passée et l’ascendance de plusieurs de ses personnages – Gram, l’arrière-grand-mère blanche de Shelby, Hannibal, son grand-père, Clark, son père, mais aussi Isaac, le père de Clark, ou encore Lute, un mangeur de femmes à la peau sombre qui est extérieur à la richesse de l’Oval. Cette volonté de revenir en arrière pour mieux éclairer le présent va de pair avec le fourmillement de voix créé par l’autrice, lequel tend à brouiller les protagonistes et leur identité, quoique leur héritage soit par là-même révélé. Les sentiments sont mis de côté dans cette saga dense devenue un classique de la littérature américaine qui a pour clef de voûte le mariage – alliances nouées hier et celles que l’on prépare encore, presque toujours motivés par des intérêts sociaux ou eugéniques.

Malgré la réflexion subtile à l’origine de ce livre, malgré sa richesse, la plume froide et patinée par les années nous laisse donc à distance de ces mœurs de 1950 qui semblent le reflet distordu des États-Unis d’aujourd’hui.

Merci à Belfond pour cette lecture, et à Athalie d’avoir attiré mon attention sur ce titre.

Dorothy West – Le mariage
[The Wedding – traduit par Arlette Stroumza]
Belfond Vintage
288 pages
15 euros

Ils/elles en parlent aussi : Christlbouquine. Pierre Ahnne. À livre ouvert

8 réflexions sur “Le mariage, Dorothy West

    1. Oui ceux que Dorothy West met en avant sont peu souvent au cœur d’un roman donc le propos est finalement intéressant et peu commun. Ceci dit, j’ai effectivement été un peu déçue par le style, mais surtout par le manque d’émotion de l’ensemble. Seules les convenances comptent, ce qui rend l’ensemble bien froid…

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  1. Ha, tu sembles un peu déçue ? J’ai beaucoup aimé pour ma part ce regard ironique sur une communauté peu présente en littérature, surtout les retours arrière et la sortie de l’esclavage qui expliquent l’obsession des Coles pour la couleur de leur peau.

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    1. Ces multiples allers-retours entre présent et passé m’ont parfois un peu perdue, de même que la multiplicité des personnages, et j’ai regretté la froideur émotionnelle de l’ensemble (mise à part de la fin, glaçante !). Ceci dit, je suis contente de l’avoir lu et découvert, effectivement pour son ironie et pour cette manière d’évoquer des préoccupations que l’on associe pas forcément à la communauté noire-américaine. Donc merci parce que c’est toi qui a attiré mon attention sur ce roman !

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