Ocean Vuong n’écrit pas seulement une lettre à sa mère – il écrit aussi une déclaration d’amour à celui qui habita son cœur en premier et qui le tira du « monde des noyés » pour le métamorphoser en eau, ruisselante et forte, imprévisible et impétueuse.
Il raconte le Vietnam de Lan, sa grand-mère, et celui de Rose, sa mère. Et ce qu’il en connaît. Il fait jaillir des images de la page, tisse un monde à partir du sien, monde que Marguerite Capelle, la traductrice, embrasse avec discrétion et maestria. Il berce son texte de violence et de beauté – un bref instant de splendeur entre deux gifles, des coups pour apprendre à résister et à endurer. Le rythme est envoûtant, les phrases se savourent, se lisent plusieurs fois pour le plaisir de les sentir rouler sur notre langue et caresser notre gorge, éclore dans le coton du ciel. La poésie de ses mots habite l’univers qu’il raconte, le champ de tabac, la grange dans le noir absolu de la nuit, la brûlure cuisante de l’amour, la petite maison triste, le mobil-home et les rimes de 50 Cent, les rizières et la fumée âcre de la guerre. Il teinte d’or et de poussière tout ce qu’il évoque, créant des couples de mots étonnants et presque tangibles tant leur portée sémantique fait écho en nous, dans l’air battu par les ailes frêles des monarques, aussi légers et fougueux que ses métaphores, dans l’air qu’il respire – que sa mère respire. C’est à elle qu’il s’adresse, à elle qu’il dit tout ce dont est fait sa vie, la souffrance et la lumière, la différence qui est la sienne, la rouille et la poussière d’étoiles.
Il y a trente ans, une fleur a donné naissance à un océan, Ocean qui abrite une planète entière en lui et dans ses pensées, qui s’étend, traverse les mers pour relier des rives, gouffre qu’il creuse et comble en trois cents pages qui semblent en être des milliers tant leur éclat perdure une fois le dernier point posé. Les paragraphes brefs, éthérés, crus parfois, éclatants toujours, se suivent, se répondent et riment ; le poète avance d’un pas puis recule de deux, avance de deux pas puis recule de trois, celui qu’il est n’étant lui-même que parce que sa grand-mère et parce que sa mère. Parce que les ombres et les histoires, la neige sur le crâne sombre de Lan, le vernis écaillé sur les mains pâles de Rose, les ecchymoses sur son visage puis sur celui de son fils. Maman, comme un refrain, comme une ancre à laquelle l’auteur se raccroche pour mieux la lâcher et dériver vers ses horizons, loin et proche, apaisé, enfin.
Merci aux éditions Gallimard et au magazine Elle pour ce roman, lu dans le cadre du Grand Prix des Lectrices (note GPL : 19/20).
Ocean Vuong – Un bref instant de splendeur
(On Earth We’re Briefly Gorgeous – traduit par Marguerite Capelle)
Gallimard
7 janvier 2021
304 pages
22 euros
Ils en parlent aussi : Le jardin de Natiora. L’écume des lettres. 31st floor. Orlane and books. Little coffee book. Anita et son book club. Pascale Marchal. Les fringales littéraires. J’ai 2 mots à vous dire. Worldcinecat. Mélie et les livres. Mes pages versicolores. Maghily. Mumu dans le bocage. Lune Depassage. Dealer de lignes. La viduité
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Le charme a opéré chez moi… J’ai succombé à l’écriture et les émotions également … Merci pour le lien 🙏😉
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Et chez moi aussi 🙂 je t’en prie !
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Ce qu’il était beau et envoûtant, ce roman. Les mots m’ont enchantée. Habituellement, un style trop poétique me fait prendre mes jambes à mon cou. Cette fois, au contraire, j’étais paralysée par tant de beauté dans l’agencements des mots et ce qu’ils incarnaient. C’est, à mon sens, un très grand roman.
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Je n’ai pas été séduite par ce roman. J’ai trouvé que trop de poésie me coupait de toute émotion…
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Il s’est passé exactement l’inverse de mon côté. Mais tout est affaire de ressentis !
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Très envie de le découvrir ☺️
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Je ne peux que t’y encourager 🙂
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Il est sur ma liste, obligé ☺️
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A reblogué ceci sur Le Bien-Etre au bout des Doigts.
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J’avais repéré ce livre pour son sujet et sa couverture que je trouve magnifique, tout comme le titre d’ailleurs. Ta belle chronique est une invitation à la découverte de cet auteur vietnamien. Je pense qu’il sera bien placé pour le prix Elle car les échos autour de ce livre sont très positifs (de ce que j’en ai lu en tout cas). Bel après midi Cécile 😊
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J’avoue que je ne comprends pas le faon sur la couverture (comme symbole de la fragilité gracieuse peut être)… Je suis ravie si ma critique confirme ton désir de le lire !
En effet, les jurées sont séduites, moi comprise 🙂
Bel après midi à toi aussi Fred !
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