We Are Who We Are, Luca Guadagnino

Signée Luca Guadagnino, cette série met en scène des adolescents qui flirtent avec les limites, jouent avec le feu et se brûlent les ailes. Comme dans Call Me By Your Name, le film qui a fait connaître le réalisateur, l’Italie est là en toile de fond, faisant écho aux désirs encore incertains mais incandescents des héros, des Américains évoluant dans une ruralité un peu désolée, lagunaire, bien plus grise et terne que ne l’était la Lombardie éclatante du long-métrage.

Dans une base militaire, entourés de leurs parents en uniforme, les lycéens s’égaillent, prennent le bus et s’échappent en un bouquet de plumes, entre la plage et les villages quasi déserts sous la chaleur de plomb. Frazer vient d’arriver. Fils de Sarah, colonelle qui dirigera la caserne, il a du mal à se faire une place. Regardé de haut par les autres à cause de son allure de riche new-yorkais fashion, de sa solitude fièremais hésitante et de sa démarche lunaire, vu comme une anomalie d’autant qu’il a deux mères, le jeune homme finit par se découvrir une âme sœur. Caitlin, la fille de ses voisins, appartient à la bande populaire de la caserne, mais elle aussi est un peu à part, se grimant en garçon à ses heures perdues : de Cate à Harper, il n’y a qu’un pas, qu’une capuche à rabattre pour camoufler ses cheveux. Les vacillements de Caitlin et ceux de Frazer, leurs doutes et leurs goûts musicaux les rapprochent malgré les différences d’idéologies de leurs parents – ou plutôt grâce à elles. Caitlin a besoin de repères, d’un ami à la marge qui lui permette de raser sa crinière crépue et lui offre des vêtements masculins… De son côté, Frazer poursuit timidement l’aide de camp de Sarah, sa mère, un trentenaire qui lit Livett et Ocean Vuong, obnubilé par sa silhouette musclée. L’élection de Trump se joue en arrière-plan, à la télévision qui éclaire par flashs les visages des adultes, faisant ressortir les dissensions américaines, flagrantes dans ce microcosme, concentré de tensions.

Se reconnaît la patte du réalisateur – une caméra un peu arty, contemplative, enchaînant les travellings. Rien n’est figé, tout est mouvant, de l’identité aux envies, de l’appartenance à l’isolement silencieux et recueilli : l’indique le titre de la série, We Are Who We Are (Nous sommes qui nous sommes) lorsqu’il est lu avec son sous-titre, Right Here Right Now (Ici et maintenant). Ce qui est vrai aujourd’hui ne le sera pas forcément demain. D’ailleurs, le temps n’a pas court chez Guadagnino – ou plutôt, il s’écoule lentement, la temporalité du récit parallèle à celui du spectateur. Cela crée certaines longueurs, une indolence festive parfois poétique, parfois un peu lourde.

La musique instrumentale tourbillonnante n’est pas, elle non plus, sans faire penser à celle de Call Me By Your Name, entrecoupée de morceaux rétros et hypnotiques qu’affectionne Frazer. Décalé, sûrement brillant, cet adolescent incarné par Jack Dylan Grazer n’a pourtant pas l’innocence charmante d’Elio, ni l’acteur le charisme de Timothée Chalamet. Bien plus tête à claques que le protagoniste qui pourrait lui servir de reflet, Frazer boit, chancèle sous le coup de ses émotions et du poids de son passé, inconnu pour le spectateur, qui rejaillit en gouttelettes d’une colère inextinguible dont il accable sa mère biologique. Sa comparse, à qui Jordan Kristine Seamon prête ses traits, est bien plus sympathique, touchante dans ses timides tentatives de s’assumer, dans un sens comme dans l’autre.

En filmant des errements géographiques, poétiques et identitaires, Luca Guadagnino témoigne d’une fine compréhension de l’adolescence et de ces flottements, ce qui n’empêche pas We Are Who We Are de tomber ici et là dans un certain intellectualisme artistique.

De : Luca Guadagnino
Avec : Jack Dylan Grazer, Jordan Kristine Seamon, Kid Cudi, Francesca Scorsese, Chloë Sevigny
Année : 2020
Nombre d’épisodes : 8
Durée moyenne : 60 minutes
A voir sur StarzPlay

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