Patrick Modiano, dont le premier prénom est Jean, comme son héros, fait errer ce dernier, sa persona qui apparaissait déjà dans L’horizon, dans les rues d’un Paris qui n’est plus et dans les venelles de sa mémoire, sur le fil entre rêve, souvenirs et réalité. En cela, Chevreuse n’est pas sans rappeler L’inconsolé de Kazuo Ishiguro, autre Prix Nobel, dans lequel un pianiste marche sans fin dans une ville anonyme, semblant se débattre, empesé par la poix onirique de la plume de l’auteur. Ici, Jean Bosmans n’est pas musicien mais écrivain. Il note les détails qu’il voit, insignifiants pour d’autres mais primordiaux pour lui – la moindre vétille est prétexte à retourner dans le passé, à se laisser ensevelir par ses flots agités et confus.
Les phrases sont courtes, hachées, autant que la chronologie est disloquée, les époques se dissolvant les unes dans les autres, les lieux devenant des décors sans vie, musée d’un temps révolu. Se dressent des silhouettes dont les noms surgissaient ici et là dans des titres précédents de Patrick Modiano. En filigrane, se devine la réflexion de l’auteur sur l’acte d’écriture. Malgré tout, la dimension métatextuelle de Chevreuse est à la fois centrale et insaisissable, ce roman bâti sur une mise en abyme restant impénétrable, diffus. Le Paris qui naît de ces mots est autant déserté qu’hanté de silhouettes d’hier, faites d’encre autant que de chair. Jean Bosmans n’est plus sûr de rien, confond les visages, les prénoms et les dates, tout juste sait-il que son présent et son œuvre lui jouent des tours, interagissent avec sa réalité, plus fluctuante que jamais. Les silences ont autant d’importance que l’explicite et se dissimule dans les blancs toute l’atmosphère de ce livre.
Ce côté évanescent contribue sans doute à faire de Chevreuse un récit assez vain, qui entrouvre des portes sans les franchir, ni même permettre de voir ce qui se cache derrière. Il ne se lit pas pour ce qui s’y passe, mais davantage pour ce qui est évoqué entre les lignes, pour sa fantasmagorie mémorielle et littéraire.
Patrick Modiano – Chevreuse
Gallimard
7 octobre 2021 (rentrée littéraire 2021)
176 pages
18 euros
Ils/elles en parlent aussi : David Sanson. Résonances. L’île aux 30 polars. Roseleen. Le livre d’après. Vagabondage autour de soi. Valvita. Les yeux dans les livres. MHF le blog. Sur la route de Jostein
Le monde de Modiano, s’y perdre, s’y promener… Le plaisir de lire…
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Je ne connais pas assez son monde pour avoir vraiment apprécié l’expérience je pense…
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Je n’ai encore jamais lu Modiano. J’appréhende un peu de tenter l’expérience. Je me trompe sans doute 😉
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Je m’attendais à tout autre chose. Ici, ce sont des errements sans finalité immédiatement apparente, donc pas forcément un plaisir de lecture…
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As-tu lu d’autres livres de lui ? L’as-tu trouvé différent ? J’en ai lu beaucoup de lui, j’hésite encore sur celui-là
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C’était une première alors je ne peux pas te répondre, juste te dire qu’il semble reprendre des thématiques phares de l’auteur et jouer sur les mêmes tableaux (mystère léger empesant les pages, ambiance lourde et opaque qui nous englue dans le livre, Paris d’hier, frontières entre mémoire, rêve et réalité).
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J’ai découvert récemment Modiano avec Dans le café de la jeunesse perdue et j’ai Place de l’Etoile dans ma PAL et je suis d’accord avec toi ce qui nous retient n’est finalement par l’histoire mais un mental qui transcrit en mots ses sensations, une ambiance… C’est presque indéfinissable et j’ai, à ma grande surprise, beaucoup de plaisir, à vagabonder avec lui. Alors même si Chevreuse me semble encore plus décousu, je pense continuer ma découverte de cet auteur et de son univers 🙂
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Chevreuse m’a un peu déconcertée de par ces déambulations décousues, cette ambiance étrange… je pense que l’on accroche ou pas avec Modiano 😉
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A reblogué ceci sur Le Bien-Etre au bout des Doigts.
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Il est dans ma P.A.L depuis un moment mais ton commentaire toujours aussi intéressant et bien écrit me semble mi-figue, mi-raisin. Alors…
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Merci pour le compliment ! Je n’ai pas été très convaincue, disons que le livre ne va nulle part, même s’il effleure les manquements de la mémoire, ce qui n’est pas inintéressant. Après je connais mal Modiano donc peut-être que ceci explique cela 🙂
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Oui le plaisir est bien ailleurs que dans l’histoire !
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Oui ! Même si j’avoue que je n’ai pas été transportée… peut-être parce que je ne connais pas suffisamment l’œuvre de Modiano.
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c’est ce que j’aime chez lui, c’est que la magie est dans les mots et réussit à nous transporter en dehors de toute histoire. j’ai hâte de le lire.
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C’est joliment dit, même si pour moi la « magie » est encore plus dans les silences que dans les mots.
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cette fois, je ne suis pas trop tentée…
Par contre je note « l’inconsolé » car j’aime énormément Ishiguro depuis « Les vestiges du jour » (le film aussi Anthony Hopkins est génial et Emma Thompson aussi )
« Quand nous étions tous orphelins » m’a également bien plu 🙂
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