Été 85 déploie toute une palette de bleus, de l’azur du ciel aux chatoiements des vagues, du céruléen du denim au céleste passé d’un sweat délavé, de l’indigo de la nuit au saphir brillant des pupilles. Les autres couleurs apparaissent par éclats, taches de peinture qui rappellent une époque. La bande-son, voyageant entre The Cure et Rod Stewart, le jean et les tennis, les hauts informes et les cheveux trop longs – toute la jeunesse de François Ozon et des deux héros.
Les acteurs se détachent sur le coucher de soleil, les falaises normandes comme arrière-plan magistral laissant planer une menace inéluctable. La réalisation débute comme elle finit, révèle que l’impensable a eu lieu. À l’écran, Alex (Félix Lefebvre) a les yeux gonflés de larmes et de colère, et raconte sur un ton monocorde en voix-off éraillée qui dérange au début avant que le spectateur ne comprenne sa raison d’être. Il raconte son été 85 auprès de David (Benjamin Voisin), leur rencontre en mer alors que le premier avait chaviré et que le second arrivait, la fleur au fusil, vaillant, comme une apparition divine imputable à un heureux hasard. Après, plus rien ne fut pareil. L’un est impétueux, feu follet flamboyant et volage, crâneur et fougueux. L’autre est un peu timide, peu sûr de lui et facilement impressionnable – il se cherche et pourrait bien trouver en David le reflet de ce qu’il aimerait être. D’ailleurs, les miroirs fleurissent ici et là, donnant encore davantage de profondeur au jeu brillant des deux acteurs, à l’intensité de leur regard, accentuant l’angle de leur tête fiévreusement penchées l’une vers l’autre. Œillades joueuses, lèvres mordues, regards en coin – ou les prémices de l’envolée. David accorde le dernier mot à l’instant, à l’envie du moment, n’essaie pas de tout comprendre. Il se laisse porter par la vie, à l’affut des occasions de voler – filer en moto sur sa Suzuki écarlate, flotter sur l’eau poussé par le vent. Et pourtant, François Ozon choisit la lenteur pour filmer ces deux acteurs du point de vue d’Alex. Son premier amour, tapageur, qui ravage tout sur son passage, lui fait oublier son père docker (Laurent Fernandez) et ses sermons, sa mère (Isabelle Nanty) un peu triste et résignée. Les étincelles entre ces deux personnalités ne pouvaient qu’embraser leur histoire naissante, les baisers filmés en gros plan et les effleurements que l’on devine tout juste, la pudeur remplaçant le dérangeant presque sordide auquel Ozon nous avait parfois habitués. Un professeur incarné par Melvil Poupaud, présence rassurante comme infime clin d’œil à sa filmographie et à son Dans la maison, morsure du soleil et reflets de l’eau pour évoquer Swimming-pool, cimetière dans l’ombre et la douleur comme allusion à Frantz. Ce long-métrage est adapté du roman d’Aidan Chambers La Danse du coucou, lu alors que le réalisateur avait dix-sept ans, et les échos entre ce film et ses œuvres précédentes semblent témoigner de la spectrale influence qu’exerçait Été 85 avant même que ses images grainées, typiques de la pellicule, existent sur écran. Les peaux se parent d’irrégularités, la lumière et les pigments imparfaits de l’écran habillent les visages si expressifs et parent les yeux pleins d’espoir des deux jeunes comédiens.
Suite au drame, Alex doit s’expliquer, revenir sur son comportement indécent. Il doit confier sa propre version des faits, se justifier. Alors il revient sur cet été qui tourna mal et changea tout, sur la brûlure vive de la passion bien vite remplacée par la déchirure cuisante, par la souffrance étouffante et d’une violence inouïe qui barre la poitrine quand on comprend que tout est fini. Universelle déclaration d’amour au premier désir, rappel que rien ne dure et que tout est éternel, Été 85 et son atmosphère de mois d’août indolent au soleil trompeur séduit par une photographie extrêmement soignée. Les éclats d’or du crépuscule y caressent les peaux, bien vite remplacés par les lueurs du feu de camp ; les lumières stroboscopiques des boules à facette s’y effacent pour mieux laisser les flammes lécher des vêtements porteurs de trop de souvenirs…
La bande-annonce est disponible ici.
Ils en parlent aussi : Critiquable, Cinéphiles 44, Cyril Delmas, Travellingue, Le cerf volant, Madame fait son cinéma, On se fait un ciné, Les chroniques de Cliffhanger et Co, Direct actu, Le cinéma avec un grand A, Mes rendez vous, Trendys le mag, MHF le blog, In the mood for, L’avis de Jo, Yann Chaillou, Jipéhel, Aurore in Paris, Lilylit, Brussels star, Le tour d’écran, Le maître du cinéma, Ciné vrai, Toute ouïe, Mon petit carnet de curiosités, Confitures et cinéma, Cinéphile et lecteur, La pause cinéphile, Oskar Creegan, Le onzième art, Cinéscover, Les embobineurs, Cinéfilik, Cinému, Les boggans
Ping : Mon crime, François Ozon – Pamolico – critiques romans, cinéma, séries
Ping : De sel et de fumée, Agathe Saint-Maur – Pamolico – critiques romans, cinéma, séries
Ping : [Cinéma] Vos coups de cœur/déceptions de Juillet 2020 | SeriesDeFilms
Je pense que ton ressenti se rapprocherait de ce que je pourrais également en penser, en tout cas, c’est exactement ce que j’en attends et tu me donnes très envie de tenter !
J’aimeAimé par 2 personnes
C’est un beau film d’été, même si j’aurais voulu être davantage séduit.
Je t’encourage à faire le déplacement (les salles ont cruellement besoin de spectateurs) , c’est le moment de donner leur chance à ces petits films tant que se tait le bruit des blockbusters de la salle d’à côté. 😉
J’aimeAimé par 1 personne
Bonsoir Princecranoir, il est vrais que les gens ne se bouscule pas dans les salles en ce moment, ce que personnellement je trouve assez dommage, voir une salle vide me déprime tellement. Mais après si je peux permettre cette remarque, on peut pas vraiment dire que les films de François Ozon soit des « petits films », c’est quand même l’un des réalisateur français les plus acclamés et attendus à chaque nouvelle sortie. C’est pas comme l’aventure des marguerite par exemple, fait par un cinéaste qui signe ici sa première œuvre. Après ce n’est que mon avis, peut être que je me suis trompé dans ce que t’as voulu dire.
J’aimeAimé par 1 personne
Nous sommes d’accord sur Ozon, dont le nom est devenu une véritable marque de cinéma, et qui compte à mes yeux comme l’un des reals les plus talentueux en activité.
Ce que j’entends par petit film, c’est davantage par le budget et les prévisions de recettes. On sent bien qu’actuellement les ditributeurs prennent le moins de risques possible et ne sortent que les films où les retours sur investissements sont plus aisément atteignables.
Cela donne leur chance à tous ces films donc, qui d’habitude sortent dans l’ombre des grosses productions et des blockbusters américains.
J’aimeAimé par 1 personne
En même temps si tu demande à une personne qui va juste au cinéma pour décompresser, ce qu’il préfère entre voir le nouveau Marvel ou quelque chose de plus intimiste sur deux garçons qui tombent amoureux le temps d’un été. On sait parfaitement ce que cet homme ou cette femme vont répondre. Et puis au delà de nos goûts personnel, de toute façon a cause de ce qui se passe dans le monde, même les petits films auront peu de chance d’attirer beaucoup de spectateur. Sur Lucky Strike ou L’ombre de Staline, j’étais complétement seul.
J’aimeAimé par 1 personne
C’est bien triste. C’est à se demander même si les spectateurs vont revenir ! Il y a peut être quelques comédies qui attireront le chaland.
J’aimeAimé par 2 personnes
Je ne peux qu’aller dans le sens de Princecranoir. L’atmosphère est délicieusement désuète, les sentiments, universels ou presque, l’esthétique très estivale et soignée et en effet, les salles ont besoin de spectateurs… !
J’aimeAimé par 1 personne
50 nuances de bleues se mélangent entre la mer et l’océan des yeux des deux amoureux. C’est très joliment tourné en exergue de cette critique qui met le dernier Ozon à l’honneur. J’aurais aimé ressentir ce même emballement mais mon cœur n’a pas vogué d’une même allégresse sur la chanson de Rod Stewart. Un coup dans l’eau cette fois-ci pour moi. En ce qui me concerne, avec Ozon c’est souvent du un sur deux.
J’aimeAimé par 1 personne
Merci 🙂
Je n’ai vu que Dans la maison et Été 85 et les deux m’ont plu, mais je ne peux pas trop m’avancer quant à mon goût pour ce réalisateur ! Comme je te le disais sous ta critique, j’ai trouvé l’esthétisme vraiment réussi et l’universalisme du thème (un premier amour qui finit mal) notable, même si je comprends ton avis.
J’aimeAimé par 2 personnes
Pour le coup, j’avais trouvé « Dans la maison » beaucoup plus de brio et de subtilité, voire de perversité. Je le place nettement au-dessus.
J’aimeAimé par 1 personne
J’étais trop jeune pour aller au delà de « j’aime », « j’aime pas » et pour me souvenir exactement de mes arguments si tout de fois j’en avais…
J’aimeAimé par 1 personne
L’appréciation à l’instinct, ça fonctionne aussi pour Ozon. 😉
J’aimeAimé par 1 personne
Quelle belle critique ! (merci pour le lien 🙂 )
J’aimeAimé par 2 personnes
Merci ! (de rien 😉 )
J’aimeJ’aime
J’aime beaucoup le cinéma de Ozon ! « Grace à dieu » m’avais bouleversé. Ta chronique est sublime.😊 Je songe à « Call Me by your name » que j’avais adoré pour le thème de cet « été 85 » 😉
J’aimeAimé par 2 personnes
Je n’avais pas vu Grâce à dieu…
Merci beaucoup ! Oui, la bande annonce m’y avait fait songer aussi mais en réalité ce n’est pas vraiment ça. Initiation amoureuse, premier amour qui blesse, atmosphère indolente d’un été dans les années 80 et esthétique parfaite pour les deux mais on s’attarde ici presque autant sur la douleur de la rupture et du drame que sur la passion euphorique des premiers jours, ce qui le rend sans doute plus profond psychologiquement parlant que Call me by your name (que j’ai adoré cela dit, et même préféré au Ozon) 😉
J’aimeAimé par 1 personne
« Call me by your name » avec Timothée Chalamet est un film sublime. Je l’ai trouvé aussi beau que le Kechiche « La vie d’Adèle » qui est un de mes films fétiches😉
J’aimeAimé par 2 personnes
Pas vu à sa sortie parce que j’étais trop jeune, et maintenant je crois que je boycotte à cause des polémiques et des témoignages des deux actrices au sujet du tournage…
J’aimeAimé par 1 personne
Je l’avais vu au cinéma. Tu as raison, le traitement infligé aux actrices sur les tournages de Kechiche m’ont scandalisés également. Il paraît que sur « Mektoub my love » ses deux films suivant s’étaient encore pire. D’ailleurs, son dernier film n’est pas sorti en salle à cause de cette polémique. 🙂
J’aimeAimé par 1 personne
Merci de ces infos ! Encore moins emballée à l’idée de regarder du coup 😅
J’aimeAimé par 1 personne
Hâte de le découvrir 🙂
J’aimeAimé par 1 personne
C’est un très beau film, l’esthétique est remarquable, poétique et vraie 😉
J’aimeJ’aime
Finalement, cet Été 85 est une déception. Certes, l’atmosphère est plaisante, empreinte de mythologie, de soleil et de poésie jusqu’à Verlaine mais le scénario est d’une facilité sans nom. De nombreuses promesses à travers cette double narration (sur un présumé meurtre qu’on ne cesse de gonfler) parce que finalement toutes les intrigues possibles sont renvoyées d’une manière expéditive. C’est vraiment dommage car le grain du 35mm est superbe, les acteurs sont bons et on sent qu’Ozon met du sien dans ce film.
J’aimeAimé par 1 personne
À la rigueur je trouve que le scénario est accessoire. Il n’est presque qu’un prétexte… et puis Ozon a adapté un roman donc on ne peut pas vraiment le blâmer pour l’histoire !
J’aimeJ’aime
Comme je suis François Ozon je guette son passage ici……. 🙂
J’aimeAimé par 2 personnes
Tu ne devrais pas avoir à guetter trop longtemps 😉
J’aimeAimé par 1 personne
j’aime beaucoup ce que fait François Ozon, ce film devrait me plaire (j’ai déjà été séduite par la bande annonce alors….
je ne suis pas du tout sûre d’aller le voir en salle dans le contexte actuelle, je me rattraperai sur C+
J’aimeAimé par 2 personnes
Je comprends… j’ai longuement hésité avant de craquer et d’aller au cinéma 🙂
J’aimeAimé par 1 personne
Un joli film pour un été si particulier … Merci
J’aimeAimé par 1 personne
Exactement…
De rien !
J’aimeAimé par 1 personne
Salut, superbe critique du dernier film de François Ozon, que je suis moi même entrain d’écrire. Bonne continuation.
J’aimeAimé par 2 personnes
Merci beaucoup !
Je viendrai la lire alors 🙂 bonne continuation également.
J’aimeJ’aime
A reblogué ceci sur Le Bien-Etre au bout des Doigts.
J’aimeAimé par 1 personne