Les Nétanyahou, Joshua Cohen

À la fois dense, verbeux et drôle, profondément et férocement drôle, ce roman de Joshua Cohen oscille entre Histoire et satire, campus novel et roman familial avec, une nouvelle fois, un professeur pour père. La judéité est au cœur du propos, comme le titre, Les Nétanyahou, le laisse deviner. Ruben Blum, le narrateur exaspérant et pompeux de ce roman, seul professeur juif de Corbindale, est réquisitionné pour servir de guide à Ben-Zion Nétanyahou, exilé israélien, révisionniste, sioniste radical, et pour siéger dans le comité qui statuera sur son embauche en tant que mandarin. Ainsi, Ruben voit arriver chez lui, un beau matin enneigé de janvier 1960, une voiture brinquebalante où s’entasse la famille de celui qui deviendra le Premier Ministre Israélien des dizaines d’années plus tard. Cet épisode et le mordant avec lequel Joshua Cohen le relate sont librement inspirés d’une anecdote que le professeur Harold Bloom, ami de l’auteur, lui raconta – mais toute ressemblance entre Blum et Bloom est fortuite, tant le premier est un personnage type.

Outre le quotidien familial de Blum, une caricature à lui-seul, haute en couleur et pleine d’une distance humoristique quoiqu’ironique, c’est donc cette arrivée bigarrée et extravagante, point de départ d’une épopée d’une soirée, courte mais intense, qui justifie l’existence de ce livre. De ce fait, Joshua Cohen mêle de longues descriptions historiques et contextuelles à sa délicieuse satire de familles juives – ou peut-être s’agit-il plutôt d’une satire des familles juives des grands romans américains de Roth et Bellow, pour ne citer qu’eux. Ainsi, ce qui aurait pu n’être qu’un concentré de scènes cocasses entre les Blum puis entre les Blum et les Nétanyahou, de répliques acides et de quiproquos hilarants, bascule régulièrement dans le pompeux académique, sans doute, là encore, satire des papiers écrits par les huiles de ce milieu et même de cette sphère intellectuelle en elle-même. Toujours est-il que ces longs passages didactiques sur la création d’Israël et les scissions qui divisèrent les sionistes alourdissent Les Nétanyahou et cassent cette distance et ce grinçant qui caractérisent l’œuvre par ailleurs. Certes nécessaires pour que le lecteur savoure dans toute son incongruité la venue de la famille israélienne et se délecte de ses travers si nombreux qu’ils en viennent à les définir, ils auraient gagné à être plus courts, allégés, aussi incisifs que le reste du roman.

Merci aux éditions Grasset et à NetGalley pour cette lecture.

Joshua Cohen – Les Nétanyahou
[The Netanyahus – traduit par Stéphane Vanderhaeghe]
Grasset
19 janvier 2022 (rentrée littéraire d’hiver 2022)
352 pages
22 euros

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15 réflexions sur “Les Nétanyahou, Joshua Cohen

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    1. Ah dommage… chez moi le comique a vraiment bien fonctionné et a rattrapé ces longueurs didactiques 🙂 j’aime bien Philip Roth moi aussi et justement, j’ai vu ce roman comme une parodie-hommage des grands auteurs juifs du siècle dernier. (Et je trouve les films de Woody Allen délicieux également !)

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