La mémoire de l’eau, Miranda Cowley Heller

Miranda Cowley Heller centre La mémoire de l’eau autour d’une maison, un palais de papier qui donne d’ailleurs son titre anglais à l’œuvre (The Paper Palace). Blotti au cœur des étangs de Cape Cod, en Nouvelle Angleterre, cet ensemble de bâtisses est le décor des événements les plus marquants de l’existence de la narratrice, Ellie, de son enfance jusqu’à sa vie de mère. Sa famille y passe ses vacances d’été depuis sa naissance et elle poursuit la tradition, année après année, se délectant de l’air salé et de l’odeur doucereuse de l’eau stagnante, des souvenirs des jours heureux qui l’habitent. Les traumatismes d’hier et les petits bonheurs se chamaillent dans son esprit, se font écho, des détails du présent lui rappelant des vétilles de sa jeunesse – une phrase de sa mère, un thermos rouge –, et rouvrant des cicatrices.

De fait, la chronologie de ce premier roman bafouille, hésite, alterne présent et passé, retourne résolument en arrière pendant de longues pages avant de finalement réembrasser le présent, tentant en vain d’effacer hier – mais, après tout, l’eau a une mémoire, de même que les corps, de même que les cœurs. Après la légère confusion des premières dizaines de pages, les flots s’apaisent, les jeux temporels prennent sens et contribuent au plaisir de lecture, à épaissir puis éclaircir la brume mystérieuse qui plane sur l’étang.

Dès les premières lignes, le lecteur sait qu’Ellie aime deux hommes, de manière très différente mais insurmontable. Chacun lui noue le ventre, chacun partage avec elle des souvenirs ineffaçables. Peu à peu, le ciel se couvre, l’eau se trouble et projette les nuages d’un passé sombre. L’enfance et l’adolescence de l’héroïne apparaissent par bribes avant de prendre davantage de place, expliquant qui elle est aujourd’hui, les sentiments qui l’agitent et la tiraillent, entre devoir, raison et instincts.

Au-delà de la construction de La mémoire de l’eau, audacieuse pour un premier roman, au-delà des personnages, vrais et touchants malgré quelques comportements étonnants, c’est aussi et surtout l’atmosphère qui se dégage de ces pages que l’on retient. Miranda Cowley Heller décrit les couleurs, les odeurs, la lumière dorée et la lueur de la lune, donne corps à ce palais de papier, à l’étang, mais aussi aux rues de New-York, aux artères de Londres – Ellie déambule, devenant presque tangible dans ses errements géographiques, mémoriels et sentimentaux. L’autrice signe ainsi un premier roman minutieux, sensoriel et magnétique, récit féministe autant qu’histoire de famille douce-amère, qu’il est aussi dur de quitter que la fraîcheur de l’eau dans un air caniculaire.

Merci aux éditions Presses de la Cité et à NetGalley pour cette lecture.

Miranda Cowley Heller – La mémoire de l’eau
[The Paper Palace – traduit par Karine Lalechère]
Presses de la Cité
18 août 2022 (rentrée littéraire d’automne 2022)
23 euros
528 pages

Ils/elles en parlent aussi : Little pretty books. Kima mori. Books, moods and more. Tu l’as lu. Le blog de Krol. Les livres d’Ève. La plume de Victoire

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22 réflexions sur “La mémoire de l’eau, Miranda Cowley Heller

  1. Ping : Noël 2022 – livres en pagaille – Pamolico – critiques romans, cinéma, séries

    1. Je me suis dit après coip que j’aurais dû m’inscrire à ton challenge ! Surtout que je viens de finir le roman d’Anthony Doerr (700 pages) et de commencer Faire éclater la Terre de Karl Marlantes (800 pages)…
      Pour La mémoire de l’eau, on ne voit franchement pas les pages passer. C’est très immersif comme lecture et on a envie de continuer à lire.

      J’aime

      1. C’est clair que si j’ai aussi reçu le livre (NetGalley ou de ma libraire), je le termine. Sinon seulement si j’accroche. Et si on me l’a offert et que ça m’ennuie, je fais de la lecture en diagonale lorsque c’est nécessaire et je suis honnête dans mon avis si on me le demande ensuite.

        Aimé par 1 personne

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