John Woods signe un premier roman d’une noirceur d’encre, cette noirceur d’une nuit bientôt déchirée par les flammes des puits de fracturation hydraulique. L’Ohio de l’auteur ressemble à celui de Stephen Markley, à la Pennsylvanie de Philipp Meyer – mais encore davantage à celle de Dan Futterman – , en plus rural sans doute, en encore plus noir, certainement. Ses héros sont sombres, torturés, piégés au pied des Appalaches, empoisonnés par l’eau contaminée qui coule sous leurs pieds, dans cette terre fracturée par les entreprises d’exploitation gazière. La police est corrompue, violente, les symboles nazis courent sur la peau tatouée des vétérans locaux, des manuels d’allemand et de phrénologie, des livres de Goebbels et de Heidegger hantent leurs bibliothèques souterraines, des cagoules du KKK pendent dans les placards des aïeuls.
La narratrice, Amy est une lycéenne trop ronde, trop lente, d’où ce surnom méprisant qui est le sien depuis qu’elle est petite – Chevy. Sa famille est pauvre, son frère, atteint d’une maladie génétique. Ils vivent dans un mobil-home, près des bois. Mais ne pourrait-elle pas devenir Lady Chevy ? Se nourrir de tout le dégoût, de toute la haine et la tristesse qui l’entourent pour devenir quelqu’un ? Déterminée à s’enfuir pour échapper à ce déterminisme social, Amy se perd dans ses livres, dans les heures passées auprès du vétérinaire local, s’enferme dans son rêve quitte à briser ceux qui se mettent en travers de son chemin, quel que soit l’amour qu’elle leur porte.
John Woods martèle la page de ses phrases courtes et efficaces, ses paragraphes ici et là traversés d’une description lumineuse et glaçante de la nature baignée par la lumière glauque des flammes dans la nuit. Il crée des personnages antipathiques, souvent oxymoriques, voire bipolaires dans leurs paradoxes. Peu à peu, la poix qui recouvre tout, l’air malsain, engluent aussi le lecteur, aspiré dans Lady Chevy, dans son tourbillon d’obscurité écœurante et de bassesse humaine. Ce livre a quelques-uns des défauts d’un premier roman, cultive notamment une certaine confusion flottante, des actes commis sans raisons discernables. Apparaît aussi comme une hauteur arrogante de l’auteur pour ses protagonistes, lie humaine, concentré des plus vils instincts et aspirations de notre espèce tout en étant, par flashs, humains. Chevy est déterminée, froide, et une sorte de pellicule graisseuse empêche le lecteur d’accéder à son intériorité, à ses émotions, comme à celles des autres personnages.
Merci aux éditions Albin Michel (collection Terres d’Amérique) pour cette lecture.
John Woods – Lady Chevy
[Lady Chevy – traduit par Diniz Galhos]
Albin Michel (Terres d’Amérique)
1er février 2022 (rentrée littéraire d’hiver 2022)
480 pages
22,90 euros
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Je te dirais ça Cécile 😊
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Un retour mitigé de ta part sur un roman reçu il y a quelques jours en service presse. Je te dirais ce que j’en aurais pensé Cécile 😉🙂
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J’ai des réserves assez similaires que pour le roman de David Joy en fait. Cette froideur m’a gênée mais je ne pense pas que cela te gêne… à voir 😊
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belle chronique, super tentante comment vais-je résister 🙂
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Franchement à choisir, je te conseille davantage le roman de David Park, même s’ils n’ont pas grand chose à voir ! J’ai vu que tu avais commenté sous la critique d’où ce conseil 🙂
J’ai regretté ici la froideur et ce qui m’est apparu comme le dédain de l’auteur pour ses personnages.
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Je survole ton billet car je le commence dans les prochains jours.
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Ah, curieuse d’avoir ton avis !
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Merci Cécile pour cette belle critique. À découvrir..
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J’ai été un petit peu déçue mais ça offre une vision des États-Unis qui fait froid dans le dos et qu’il est bon d’avoir en tête, oui…
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