Connemara, Nicolas Mathieu

Nicolas Mathieu sait raconter ces instants de l’adolescence qui distordent le temps – ces moments qui ne passent pas assez vite, qui s’étirent, traînent, et qui, pourtant, ne sont bientôt plus que des flashs de lumière, des silhouettes floues sur une photo vieillie, des sourires d’hier, des éclats de rire devinés et estompés par les années. Les quarante ans arrivent vite, si vite, un clignement de paupières et la jeunesse a passé, les rides se sont creusées, un peu, déjà, les enfants ont grandi, le couple s’est délité.

Hélène et Christophe, les héros de Connemara, ont encore cette tendresse sucrée pour leurs années lycée, néanmoins subies, pour leurs amitiés et leurs passades amoureuses, cette langueur et cette envie d’accélérer les heures et les mois pour partir, enfin, s’évader. C’est ce qu’a fait Hélène. Elle a fui Cornécourt pour embrasser la vraie vie, la belle, et réaliser ses rêves de grandeur et de billets, de quotidien doré qui a malgré tout terni avec l’âge. Christophe, lui, est resté. Comme elle, il s’est marié, mais en s’enfouissant au cœur de ces vieilles maisons de ce village moribond à l’incontournable café du coin, au PMU peuplé d’habitués, au maire inamovible. Tous deux souffrent de ce couple qui n’est plus qu’un joli souvenir, de leurs journées qui se suivent et se ressemblent, tristes, vernies de lassitude et d’ennui, d’une fatigue infinie, à deux extrémités du cadre social – le déterminisme, encore, toujours. À croire que les choix cornéliens du destin ne mènent à rien, qu’à cette grisaille monotone dans laquelle chacun veut distiller des gouttes de peinture vive, des bulles de champagne, des nuages de ces couleurs de l’adolescence désormais fanées. Alors quand ils se croisent, promesse de renouer avec des temps enfuis, ils n’hésitent pas et font se percuter deux mondes.

Nicolas Mathieu ne se contente pas de cette romance sombre et condamnée dès ses balbutiements, romance qui fait souffler un vent de fraîcheur adolescente sur la vie des deux protagonistes. Il resuscite aussi des crépuscules oubliés, cette jeunesse douce-amère qui s’est brûlée les ailes, ces soirées sans fin, ces amitiés à la vie à la mort, ces bouteilles de bière et ces heures à glisser sur la glace, ces vacances au goût de sel et de soleil malgré les parents trop « gagne-petit » comme il l’écrit, les aspirations à un mieux qui ne sera qu’une chimère.

Il mêle présent relaté au passé et passé relaté au présent, fait ainsi mieux saisir cette volatilité de l’instant, cette éphémère joie qui ne se devine pas, ne se ressemble même pas. La nostalgie imprègne les pages de Connemara, aussi mélancoliques que la chanson éponyme, le talent de l’auteur culminant dans ces moments de bonheur qui avance masqué, mais aussi dans cette peinture sociale qui est là, bien présente. Quoique moins crue que dans Leurs enfants après eux, elle se dévoile malgré tout dans les détails, les habitudes et cette vie qui file, de la fête foraine à l’open-space. Si Christophe, commercial fatigué, passe les heures à brûler la route, les journées d’Hélène sont remplies de réunions, trop détaillées, trop jargonneuses – mais c’est aussi ce qui fait la force du roman, cette oscillation entre espoir et désillusion, d’un côté lourde d’anglicismes et de la poix du mariage, de l’autre, plombée par un divorce brutal et la maladie des parents.

L’auteur aime aussi à s’immerger dans les Vosges de sa jeunesse, celle où les collines ondulent doucement, où le vert pique le regard sous le gris immense et lourd du ciel. Ça pourrait être l’Irlande, le Connemara même, ces cartes postales dans lesquelles vit l’un tandis que la seconde est sortie du cadre mais sans parvenir tout à fait à rompre son attachement pour cette « terre brûlée au vent / des landes de pierre », ni même pour ces jours où « On di(sait) que la vie, c'(était) une folie
Et que la folie, ça se dans(ait). »

Un grand merci aux éditions Actes Sud pour cette lecture.

Nicolas Mathieu – Connemara
Actes Sud
2 février 2022 (rentrée littéraire d’hiver 2022)
400 pages
22 euros

Ils/elles en parlent aussi : Des petits riens. Lili au fil des pages. Agathe the book. Books, moods and more. Les liseuses. Au fil des livres. One more cup of coffee. En lisant en écrivant. Tu l’as lu ?. In the mood for… Plume de l’hirondelle. Vagabondage autour de soi. Coquecigrues et ima-nu-ages. Sin city. Julie à mi mots. Animal lecteur. La culture dans tous ses états

16 réflexions sur “Connemara, Nicolas Mathieu

  1. Ping : Nicolas Mathieu – Connemara | Sin City

    1. Merci de ton retour. J’ai dû attendre le deuxième ou troisième chapitre pour vraiment me plonger avec plaisir dans ce roman. C’est quand l’adolescence des deux protagonistes entre en scène que l’ensemble prend tout son sens… mais peut-être Nicolas Mathieu n’est-il pas pour toi, auquel cas je suis désolée de cette erreur d’aiguillage !

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    1. C’est tout à fait ça. Il parvient à nuancer davantage son propos que dans Leurs enfants après eux et, derrière la morosité, à ménager des moments de douceur pourtant pas perçus comme tels. Le passage du temps, le déterminisme… autant de thèmes forts qu’il aborde de manière très pertinente (et autant personnelle, devinons-nous, qu’universelle).
      Je te le conseille vivement.

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