Confusion, Elizabeth Jane Howard

Ce troisième tome de la saga des Cazalet fait la part belle aux femmes, adopte leur point de vue bien davantage que celui des hommes pourtant bien présents comme ombres rassurantes ou oppressantes dans la société anglaise patriarcale de la Seconde Guerre Mondiale. Le deuxième sexe tend pourtant vers la liberté, la nouvelle génération encore davantage que celle des mères. Polly et Clary ont grandi, embrassant la fin de l’adolescence avec grâce et courage : elles se préparent à quitter le cocon de Home Place blotti dans l’écrin de la campagne du Sussex. À Londres où finalement elles atterrissent en douceur parmi les V2 et les ruines, Louise oscille déjà entre désirs libertaires et obligations domestiques : celle qui souhaitait devenir comédienne découvre l’envers du décor, les toiles d’araignée et les mesquineries derrière les rêves de conte de fée. La capitale est ainsi au cœur de Confusion, centre névralgique où naissent et fanent les envies d’émancipation et de renouveau, où des silhouettes américaines se dessinent puis s’estompent, la guerre esquissant puis gommant les vies. Des histoires d’amour éclosent, timides ou embrasées, et d’autres s’assèchent, lentement étiolées par le temps qui passe et par la lassitude.

Ce nouvel opus est ainsi celui de l’épanouissement féminin, du changement, de la romance. Les enfants ont vieilli, se rapprochent de l’adolescence et les bisbilles capricieuses se font plus rares ; les parents prennent de l’âge et voient leurs rêves de passion et leurs fantasmes platoniques se teinter de sordide au contact du réel ; les grands-parents perdent de leur vigueur et se fatiguent, tout comme les domestiques qui ne sont plus aussi fringants qu’avant. Pour donner la parole à Polly, Clary, Louise, Villy, Rachel, Sid, Zoë et Diana, mais aussi, brièvement, à Archie, Michael, Hugh et Edward, Elizabeth Jane Howard délaisse peu à peu l’indolence rurale et estivale qui dominait Étés anglais et À rude épreuve,et lui préfère une chronologie jalonnée d’ellipses, et une temporalité qui semble se caler sur le mouvement de balancier d’une pendule, en avant puis en arrière, la perception de chaque personnage revenant empiéter sur les temps perçus par un autre.

Jamais l’auteure n’aura autant puisé dans le répertoire austenien, dans les thèmes domestiques et féminins si chers à la mère de l’ironie britannique. Si le quotidien à Home Place apparaît toujours en filigrane, rythmé par les retours à la campagne pour le week-end et les cris des plus petits, la famille passe au second plan pour permettre aux jeunes femmes d’entrer dans le monde.

Merci aux éditions de la Table Ronde qui en contribuant à enrichir aVoir aLire ont contribué à enrichir Pamolico.

Elizabeth Jane Howard – Confusion (La saga des Cazalet III)
[Confusion – traduit par Anouk Neuhoff]
La Table Ronde
18 mars 2021
512 pages
23 euros

Elle en parle aussi : Charlotte Parlotte. Mumu dans le bocage. La viduité. Plaisirs à cultiver. Aux bonheurs de Sophie. Lettres d’Irlande et d’ailleurs. Mot à mots. Tu l’as lu ?

21 réflexions sur “Confusion, Elizabeth Jane Howard

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  6. Sylvie D.

    J’ai savouré les deux premiers tomes, ce sont des petits bijoux !
    Beaucoup de charme, de finesse, de sensibilité et de profondeur dans cette histoire avec un zeste de flegme tout britannique.
    La peinture des mœurs de cette époque et l’étude de caractère approfondie des personnages font de cet ouvrage, qu’on pourrait qualifier à prime abord de “détente”, un roman choral très maîtrisé à l’écriture ciselée agrémentée d’une excellente traduction.
    Cerise sur le gâteau : la place de choix accordée à la psychologie des enfants avec leurs interrogations, petits secrets, méchancetés, peurs, jalousies et amitiés qui font de leurs réflexions des moments de lecture intense.
    Bravo Cécile pour toutes tes analyses très maîtrisées, la richesse de ton vocabulaire et l’élégance de ton style ! Merci à toi de nous faire partager ta passion de la lecture.

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    1. Vous en parlez avec des mots très justes qui illustrent joliment la plume de l’auteure. En effet, la traduction est vraiment très ciselée, et les chamailleries enfantines confèrent un réalisme charmant à l’histoire qui, néanmoins, se centre ici bien davantage sur les jeunes femmes que sont devenues les fillettes des tomes précédents.
      Merci à vous de ce beau compliment qui me touche beaucoup !

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