Uncle Frank, Alan Ball

Cette fois, point d’Ohio pour décor mais toujours ces montagnes Appalaches en arrière-plan : l’intrigue se déroule en Caroline du Nord en 1974, dans une famille conservatrice et représentative de cette Amérique profonde qui est décidément à l’honneur en ce moment.

Betty est la benjamine du foyer, coincée entre ses cousines glamours mais contraintes de se marier à cause de leur ventre bientôt plein, ses grands-parents affectueux mais toujours réactionnaires, sa mère surprotectrice, son père indifférent, sa tante rayon de soleil et son oncle, différent, solitaire, ailleurs. Uncle Frank, comme elle l’appelle, sera celui grâce à qui elle deviendra Beth, s’échappera de ces montagnes étouffantes et de cette famille qui l’est tout autant. Ce professeur d’études de genre à l’université de New-York l’incitera à devenir celle qu’elle veut être et non celle que les autres veulent qu’elle soit. Alors elle abandonne son prénom qui « fait trop dame », se débarrasse de son ancienne peau pour devenir étudiante et découvrir les gratte-ciels de la côte est. Cheveux courts à la garçonne, foulard en bandeau dans les cheveux, pantalon boyfriend et voilà Beth, la bizarre, désormais à la pointe de la mode dans la ville qui ne dort jamais. En vivant dans la même métropole que son oncle et en suivant des cours là où il en donne, elle était presque sûre de le croiser – ce qui se produit en effet. Son esprit, très libéral en façade, accusera le coup quand elle découvrira son homosexualité, homosexualité qu’il a tue à toute la famille depuis ce fameux jour où son père avait compris et avait décidé de le mépriser. Ce Papaw meurt et voilà Beth et Uncle Frank sur la route pour les funérailles, l’une et l’autre apprenant à se connaître davantage, à dévoiler les démons cachés de son voisin de siège. C’était sans compter sur un invité surprise : Wally, le compagnon de Frank, est finalement du voyage…

Cette réalisation de Alan Ball met ainsi en scène un trio de personnages touchants, de la féministe et farouche Beth jouée par Sophia Lillis, à Frank, l’intellectuel taciturne interprété par Paul Bettany, en passant par Wally à qui Peter MacDissi prête ses traits – Alan Ball le retrouve donc après Six Feet Under –, immigré Saoudien souriant amoureux du professeur mais aussi et surtout de sa propre mère, restée dans l’ignorance en Arabie où les homosexuels sont condamnés à mort. Un humour caustique imprègne de nombreuses scènes, les répliques sont tantôt cinglantes, tantôt pleines d’esprit et si le sujet aurait pu faire craindre un mélo larmoyant, le long-métrage en est loin. Quelques flashbacks sont disséminés çà-et-là, se limitant précisément à cela, des éclats d’images à la teinte vieillie, souvenirs qui éclosent dans la tête d’un Frank de plus en plus mal en point.

Alan Ball, à l’image de Ron Howard dans Hillbilly Elegy, touche du doigt les problématiques clés de ces états ruraux de la Bible Belt, effleure l’alcoolisme, l’intransigeance matinée par la crainte de l’Enfer. Les tenues des acteurs, les décors et la lumière dorée et surannée qui baigne les scènes donnent une atmosphère délicieusement désuète à ce film, porté par la performance sans fausse note de Paul Bettany. Si la fin est sans doute trop rose pour être crédible, l’ensemble se tient grâce à l’assurance que se bâtissent les personnages : il s’agit d’une belle ode à la tolérance éclaboussée des lueurs pommelées de l’optimisme, lauréat du Prix du Public 2020 décerné par le Festival du Cinéma Américain de Deauville.

La bande-annonce est disponible ici et le film peut-être visionné sur Amazon Prime.

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