La femme-écrevisse, Oriane Jeancourt Galignani

La femme-écrevisse ou une gravure imaginaire de Rembrandt, une obsession, une lubie qui hantera les Von Hauser à jamais. Descendants de Margot, amante malheureuse de l’artiste hollandais du XVIIème siècle (et sans doute double littéraire de Geertje Dircx…), Ferdinand, Grégoire et Lucie sont dévorés par cette œuvre, par ses implications. Le roman s’ouvre en 1642, alors qu’Amsterdam voit revenir Margot après la mort de son époux, et qu’elle s’installe en tant que nourrice chez le Peintre. Bientôt, elle deviendra davantage qu’une simple servante, partagera le lit de son employeur et maniera le bac d’acide réservé aux eaux-fortes. Elle prend de la place, s’impose tandis que les dettes rattrapent Rembrandt et que l’orgueil et la crainte d’une telle femme forte le pousseront à la mettre à la porte et à la transformer en une patiente d’asile. Trois cents ans plus tard, Ferdinand est acteur à Berlin, l’ombre de la femme-écrevisse qui trône dans le bureau de son père grignotant peu à peu son esprit, au même rythme que ses rôles. Ces derniers envahissent sa personnalité, le laissant exsangue et délirant alors que le nazisme gagne du terrain et transforme le paysage artistique allemand – d’aucuns songeront d’ailleurs au premier tome de Boro Reporter Photographe dans la description de ces mutations. À la fin du siècle dernier, la gravure aura également une influence néfaste sur le petit-fils de Ferdinand, Grégoire, qu’il cherche la paix à Londres ou à Paris. La folie habite tous les artistes, voilà ce qui semble être la triste morale d’Oriane Jeancourt Galignani. Une œuvre maudite et toute une famille condamnée à l’aliénation.

La plume est belle, poétique et âpre, hachée mais aussi fluide. Peu de liaisons entre les phrases mais les images qui les parcourent et leurs longues envolées amènent du poétique là où douleur et délire règnent pourtant en maître. Entre biographie romancée, inspirations éthérées, références bibliques et mythologiques, l’auteure, également rédactrice en chef des pages littérature du magazine Transfuge, crée son histoire, puise dans les zones d’ombre de la vie du Peintre pour laisser libre cours à son imagination, transforme les noms et rend hommage à un « Parisien au nom prussien qui aimait le jazz, Londres, les eaux-fortes du Louvre et les femmes brunes ». À Gregory Von Alten, sans aucun doute l’alter ego du Grégoire Von Hauser de ce livre.

Merci aux éditions Grasset et à NetGalley pour cette lecture qui fait partie de la première sélection du prix Femina 2020..

Crédits photo (de bas en haut, de gauche à droite) : L’éléphant, gravure de Rembrandt / page 43 du livre Hitchcock Truffaut (Gallimard) sur le film Champagne d’A. Hitchcock / La Ronde de nuit, huile sur toile de Rembrandt

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11 réflexions sur “La femme-écrevisse, Oriane Jeancourt Galignani

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  3. une de mes prochaines lectures aussi… Je me suis laissée tenter par les critiques que j’ai pu lire ça ou là 🙂
    ta chronique vient renforcer mon désir de le lire … J’ai repéré celui-ci pour Rembrandt entre autres et un autre sur le Bauhaus qui me fascine aussi 🙂

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