« Ceux qui errent ne sont pas tous perdus » (Leave no trace, Debra Granik)

Leave no trace est un très beau film, tout en pureté. Beaucoup de plans larges et statiques : les acteurs sont en mouvement mais la caméra bouge finalement très peu. Dans la première partie de la réalisation, peu de musique, juste l’opposition du calme de la forêt au vacarme de la ville. Et puis, dans un second temps, à certains moments, quelques notes enjouées provenant d’illustres musiciens locaux recrutés pour l’occasion (Michael Hurley et Marisa Anderson), incarnant des membres d’une petite communauté où –  peut-être ? – ils pourront enfin être heureux. Ils ? Un père et sa fille, ayant vécu quelques tragédies : mort (ou abandon) de la mère, guerre du Vietnam. Toujours est-il qu’ils vivent isolés, dans une forêt publique limitrophe de Portland, dans l’Oregon, devenue leur territoire. Sauf que rien n’est si simple. Tom, l’adolescente d’une quinzaine d’années est repérée par un marcheur et les policiers débarquent, mettant ainsi fin à leur vie de nomades, reclus de la société par choix. Il va ainsi leur être demandé de déménager dans un haras où le père sera chargé d’emballer des sapins de Noël tout juste coupés tandis que Tom ira à l’école – malgré son niveau intellectuel très supérieur à ceux de son âge, dixit la spécialiste chargée de veiller à ce qu’elle soit heureuse dans son chemin vers la « normalité ».

Ce film tourne effectivement beaucoup autour de cette idée de conformité : aujourd’hui, difficile d’échapper à la vie en groupe, à la société. Toute différence est pointée du doigt, et il ne fait pas bon se démarquer de quelque manière que ce soit. Tom sent sans doute cela et, son âge ajoutant à sa volonté de se fondre dans la masse pour être acceptée, il arrive un moment où elle semble presque en vouloir à son père de cette incapacité à s’installer durablement. Dans tous les cas, elle se rebelle malgré le lien très fort qui l’unie à lui (un Ben Foster qui nous transcende) et manifeste son désir d’essayer. Juste d’essayer. Essayer de se poser pour pouvoir vivre une vie rentrant un peu plus dans la norme.

Cette histoire, Debra Granik ne l’a pas inventée : elle s’inspire d’un roman, celui de Peter Rock, qui s’appuie lui-même sur des faits réels. Un père et sa fille, dans la nature, en bonne santé et placés dans un haras par les autorités, pour que, finalement, ils disparaissent.

La réalisatrice semble trouver certaines de ses inspirations dans les romans de Tolkien et les adaptation cinématographiques en ayant été tirées, aussi peut-être dans La route de Cormac McCarthy, qui dépeint d’une manière si déchirante une relation filiale. Le titre de cette critique est ainsi une citation de Tolkien, reprise par la cinéaste dans une interview. Elle a en effet déniché Thomasin McKenzie – petite prodige – dans La bataille des cinq armées et s’attache à défendre la différence. En outre, elle paraît vouer une adoration à la forêt semblable à celle du fameux auteur britannique. Se sent ce respect pour cette entité tranquille, pour le calme qui y règne, pour les risques qui y courent. L’histoire de Tom et de son père, c’est aussi l’histoire de deux amoureux de la nature, qui ont choisi d’y vivre faute de pouvoir faire autrement. Seulement, leur décision (ou plutôt la décision de Will devenant par ricochet celle de sa fille), va-t-elle pouvoir guider l’ensemble de leur vie ?

Alors non, « ceux qui errent ne sont pas tous perdus »

Pour la bande-annonce, c’est ici.

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