Light of My Life, Casey Affleck

Dans un futur proche, les femmes ont presque toutes disparu de la surface de la terre, victimes de la « peste féminine ». Dans ce chaos où maisons abandonnées côtoient squats et villes hantées par des âmes en peine, un père et sa fille errent dans les bois à l’image du duo de Leave no trace, ou encore à l’image du père et de l’enfant de La route de Cormac McCarthy. « Papa » (Casey Affleck), une barbe lui mangeant le menton et les cheveux emmêlés, est prêt à tout pour protéger Rag (Anna Pniowsky), l’isoler des autres, faire oublier que c’est une fille. Alors ils déplacent leur tente, évitent les autres hommes, se cachent. Les mèches courtes et ébouriffées de la gamine qui a cet âge où les traits sont encore androgynes (mais plus pour longtemps) et ses vêtements de garçon ne sont pas d’un grand secours lorsqu’ils tombent sur des importuns. À son silence et à sa tête baissée, aux réponses bourrues et au regard sombre de son père, ils comprennent vite que quelque chose de rare se dissimule sous l’imperméable informe à la capuche jaune, seule touche de couleur dans ces bois, tableau qui n’est pas sans rappeler l’affiche de Dark.

Light of My Life est lent et contemplatif, la caméra s’attarde sur la nature, les arbres immenses, les plaines enneigées, mais aussi sur les visages des deux acteurs. Allongés face à face dans la tente, ils s’accrochent à la lumière et au regard si familier de l’autre, leur monde depuis la mort de la mère de Rag. Ils ne sont plus que deux, deux face aux autres – plus, en prenant en compte les romans que dévorent la fillette et qui envahissent leur quotidien, comme un rappel de la culture triomphante face à la violence. La réalisation s’ouvre sur une scène de dix minutes où le père invente une histoire pour sa fille, améliore l’arche de Noé et change les points de vue pour la faire sourire et lui faire oublier leur quotidien précaire, incertain, et le danger. Casey Affleck confie d’ailleurs s’être inspiré pour ce film de ses deux enfants et de l’inévitable conte du soir où invention et nouveauté étaient indispensables pour les endormir.

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Les plans sont longs, fixes, les phrases prennent leur temps, le spectateur comprend peu à peu la relation filiale grâce à cet engourdissement. Le silence qui enrobe la voix grave et chaude de « Papa » et celle, plus haut-perchée, de Rag, est à peine troublé par quelques cordes discrètes. L’obscurité règne en maître sur la réalisation – l’électricité n’est plus. Mais, parfois, des éclats de soleil viennent caresser les vestiges d’une vie passée, les toiles d’araignée, la poussière qui flotte dans l’air, les jouets et la décoration d’une vieille maison où ils se réfugient sur l’insistance de Rag. Les lueurs chaudes qui s’échappent de la lampe qu’ils utilisent dans la tente réchauffent leur inquiétude, soulignent l’importance de ce rituel qui amène douceur et réconfort, rapprochant nos deux héros. Et, de temps à autre, un flashback baigné d’une lumière dorée et ternie traverse la mémoire de Casey Affleck et l’écran, un geste de Rag, une attitude, l’un de ses mouvements à lui le replongeant dans leur vie d’avant, alors que sa fille n’était qu’un bébé, que sa femme était encore là, que leur maison était solide et rassurante. Éminemment touchant, Light of My Life est une sorte de conte dystopique, où des problèmes de société apparaissent, çà et là, ayant indéniablement nourri le scénario et le réalisateur – inconsciemment ou non. D’une noirceur mélancolique toujours nimbée d’espoir, ce film statique et sombre est malgré tout d’une grande beauté.

Sortie en salle le 12 août.

Un grand merci à Mensch Agency et à Condor pour ce visionnage en avant-première.

Ils en parlent aussi : Maxime Griveau, Les chroniques de Cliffhanger et Co, The movie freak, Avis 2 femmes, Critiquable, Leo Iurillo, ActuaNews, Cinéphiles 44, Trendys le mag, Culture aux trousses, Séries de films, Maze, Jipéhel, Phantasmagory, Le tour d’écran, Ah monde de merde, Un œil ciné, La pause cinéphile, Super Marie Blog, Le stylo de Toto, Vampilou fait son cinéma, Watch buddy, MediaShow

19 réflexions sur “Light of My Life, Casey Affleck

  1. Ping : La route, Cormac McCarthy – Pamolico – critiques romans, cinéma, séries

  2. Bonjour Cécile,
    Très bel reticle que je remis après avoir vu le film sur grand écran.
    « la voix grave et chaude de « Papa »? J’ai toujours aimé chez Affleck cette voix fluette et fragile, faussement vulnérable.
    C’est vrai que le film peut s’enorgueillir d’une très belle photographie. Mais quel ennui tout de même ! Je le trouve finalement moins contemplatif que bavard et extrêmement maladroit dans sa démarche d’écriture.

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      1. Ah ce correcteur…!
        Merci pour le compliment 🙂
        Peut être est ce le silence qui enrobe leurs paroles mais son timbre m’a semblé chaud et rassurant, sans doute en contraste avec la voix de sa fille. Quant à l’ennui, je ne l’ai pas ressenti. On s’attache d’autant mieux aux deux protagonistes, on prend la mesure de leur relation… Pour s’ennuyer, Eva en août est plus approprié à mon sens ! Mais c’est vrai qu’il ne se passe pas grand chose et que la réalisation reste très simple – simplicité au service de la photographie que tu soulignes et du jeu des deux acteurs. En tout cas j’ai hâte de te lire à son sujet !

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  3. Thomas BONICEL

    Critique très joliment écrite ! Un plaisir de voir que nos avis convergent !

    Sans conteste un film qui aura du mal à exister, mais qui mérite un vrai succès, qui ne dépend que de nous tous.

    (Merci du lien laissé dans le commentaire de la critique du film sur AVoir ALire, dont je suis le rédacteur)

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    1. Merci !
      Oui, c’est vrai que la période n’est pas propice aux sorties en salle et ce film est sans doute plus exigeant que ce que les gens attendent en ce moment…
      (De rien ! Je suis également rédactrice sur AVoir ALire, même si je m’occupe surtout des romans ;))

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      1. Anonyme

        On est toujours en droit d’espérer une belle surprise… L’Ombre de Staline, par exemple, toujours chez Condor, a eu droit à un parcours correct !

        J’avais vu ça oui, content d’être dans l’équipe, je suis arrivé il y a à peine un mois ! Hâte de pouvoir continuer à échanger.

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      2. Je t’avais reconnu mais en effet, c’est mieux 🙂
        Oui, je voulais aller voir L’ombre de Staline mais c’était juste à la réouverture des cinémas et je n’étais pas hyper confiante… j’avais vu qu’il était en top du box office et que le nombre d’entrées réalisées était potentiellement supérieur à ce que ça aurait été avant le confinement.
        Bienvenue alors ! Tu vas voir, c’est vraiment sympa 🙂 au plaisir d’échanger!

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    1. Merci beaucoup ! Il n’y a pas de raison… et dis toi que le voir sur grand écran doit vraiment valoir le coup (encore davantage que dans son salon comme je l’ai fait) parce que beaucoup de scènes sont sombres donc l’obscurité de la salle de cinéma trouve tout son intérêt 🙂

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