Tout est illuminé, Jonathan Safran Foer

Jonathan Safran Foer enquête, sur les traces de celle qui a sauvé son grand-père des nazis et qui lui a donc indirectement permis de naître. Pourtant, bien plus qu’un essai ou une autofiction, ce livre est un roman – un roman qui ne ressemble à aucun autre, certes, mais un roman malgré tout. L’auteur crée une alternance entre l’histoire d’un schtel appelé Trachimbrod et le récit de son arrivée en Ukraine fait par Alex, son interprète et guide en devenir, un jeune homme qui parle très mal anglais. Entre ces deux narrations s’intercalent des lettres d’Alex écrites dans une langue maladroite et donc férocement drôle – extrêmement bien traduite par Jacqueline Huet et Jean-Pierre Carasso, soulignons-le. Ce guide ukrainien est fait d’un assemblage disparate de clichés, ce qui ne l’empêche pas d’être touchant derrière sa gaucherie, son antisémitisme naturel et son sexisme sans égal. Il amène beaucoup d’humour et de légèreté à un sujet grave et rarement abordé avec autant de distance. Le décalage absurde qui naît de ses bizarreries langagières lorsqu’il écrit à Jonathan Safran Foer ou bien lorsqu’il relate leur rencontre et leur périple à la recherche d’ombres du passé de l’auteur est la véritable signature du livre, ce qui restera en mémoire une fois celui-ci refermé. Malgré tout, derrière le rire, l’émotion est palpable, portée par une poésie inattendue, imagée et là encore fantasque qui vient éclairer la noirceur comique du destin des personnages jusqu’à cette apothéose finale, cette déflagration de sanglots.

Outre Safran Foer, une chienne, son éternel guide, et le grand-père de ce dernier – leur chauffeur –, Tout est illuminé est aussi peuplé de protagonistes hauts en couleur, tout droit sortis d’un livre d’histoire sous amphétamines. Les ancêtres de l’auteur se voient ainsi inventer une existence des plus malheureuse mais non dénuée de nuances et de fantaisie. Chronique d’un village juif de la fin du XVIIIème siècle jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale, ces pages se rapprochent aussi du conte, ce qui donne tout son sens à Tout est illuminé, lui confère une légitimité allant au-delà de la quête mémorielle, prenant l’absolu contre-pied de La stupeur d’Aharon Appelfeld malgré le mysticisme sous-jacent.

Comme l’indique son titre, il s’agit d’un livre baroque habité par des personnages fêlés mais aussi d’une œuvre baignée d’une aura presque divine et intimidante. Jonathan Safran Foer sait retourner les préceptes bibliques, les rituels et les croyances nées de la Torah pour en extraire l’essence, essence qu’il auréole d’une drôlerie permise par un certain recul, de poésie et d’un halo émotionnel éblouissant. C’est là la force de Tout est illuminé : multiple, déconcertant, il est autant quête identitaire romancée, fiction expérimentale, roman d’apprentissage, hommage, critique comique, réflexion sur la littérature que chronique délicieuse et décapante.

Jonathan Safran Foer – Tout est illuminé
[Everything Is Illuminated – traduit par Jacqueline Huet et Jean-Pierre Carasso]
L’Olivier
Novembre 2021
400 pages
11,90 euros

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