Les survivants, Alex Schulman

C’est à travers Benjamin, le cadet, que le lecteur peut se frayer une place dans cette fratrie de survivants inventée par Alex Schulman. Deux récits s’alternent – celui, au passé, de leur enfance dans la fermette rouge, en plein cœur des bois, et, au présent, le compte-à-rebours de leur retour après la mort de leur mère, de la dispersion des cendres au réveil avant l’aube.

L’auteur parvient, dès les premières pages, à créer une véritable atmosphère, imprégnant l’air des senteurs capiteuses de l’été, de la résine de pin, de l’odeur des fleurs, de celle de l’eau stagnante du lac qui s’étend au pied de la maison, des effluves montant des verres de vodka et du saucisson que dévorent les parents tous les soirs pour l’apéritif. Peu à peu, se dessinent les contours d’un certain désamour – pas vraiment maltraitance mais négligence, absence de sérénité dans ce foyer, et ce malgré les jours (mal)heureux vus par les yeux de Benjamin. Les marmonnements de Nils, son frère aîné, qui s’isole de cette « maison de fou », les névroses de Pierre, le plus jeune, les cris de maman, les disputes avec papa, les siestes rituelles du début d’après-midi, l’alcool qui coule à flot. Tout cela fait planer comme un malaise qui s’épaissit. Alex Schulman alourdit l’air peu à peu, notamment grâce à cette alternance entre enfance et âge adulte – les problèmes sous les abords sereins, les tensions, les bagarres entre les frères, l’aîné souvent malmené par ses benjamins, les errements dans les bois, les accidents. Cette tension, insidieuse, n’est jamais suffocante, mais elle capte l’oxygène peu à peu, rendant les pages plus lourdes, grignotant la légèreté trompeuse des débuts. L’auteur parvient avec intelligence à recréer l’ambiance d’un foyer malsain, faisant finalement tout voler en éclats dans les dernières lignes qui remettent tout en cause. L’implicite règne en maître dans Les survivants. Le macabre n’apparaît que par flashs de plus en plus répétés et permettant de voir les dysfonctionnements qui deviennent peu à peu évidents, comme si l’illusion se dissipait lentement, nappe de brume instable, filaments laissant deviner l’évident pourtant implicite – évident trompeur avant que l’évidence réelle ne frappe le lecteur à l’issue des Survivants.

La nature suédoise est là pour renforcer l’atmosphère si particulière et si finement reconstituée, à la fois promesse de liberté et prison, sorte de huis-clos où tout peut arriver. Les phrases de Schulman, tantôt coupées net par la ponctuation, tantôt coulant, parfois sans verbe, accentuent elles-aussi le malaise sous-jacent, tout en donnant à respirer ces mêmes bouffées d’air frais plein des odeurs moussues du sous-bois que celles qui firent de ces enfants ceux qu’ils sont.

Merci aux éditions Albin Michel qui en contribuant à enrichir aVoir aLire ont également contribué à enrichir Pamolico.

Alex Schulman – Les survivants
[traduit du suédois par Anne Karila]
Albin Michel
5 janvier 2022 (rentrée littéraire d’hiver 2022)
304 pages
19,90 euros

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19 réflexions sur “Les survivants, Alex Schulman

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  2. Bonjour Ceciloule,
    Merci pour la critique.
    Je suis d’accord avec ton analyse. J’ai apprécié le livre avec une atmosphère pesante oui. L’évolution d’une famille, 3 frères qui grandissent et qui s’éloignent un peu avec le temps. Un évènement marquant qui va accentuer le sentiment de renfermé.
    Ce livre se déroule principalement dans les grands espaces (forêt) et paradoxalement on se sent dans un lieu clos quand Benjamin raconte l’histoire.
    Bonne journée 🙂

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