Prochain arrêt, Alex Schulman

Dans Prochain arrêt, Harriet, Oskar et Yana focalisent tour à tour, chacun dans un wagon qui l’emporte vers Malma, au sud de la Suède, à cinq heures en train de Stockholm. Les paysages défilent, encadrés par les vitres comme autant de clichés, propices à un engourdissement de l’esprit, à une rêverie éveillée, voyage dans le passé symbolisé par le glissement du train sur les rails, comme s’il unissait hier, aujourd’hui et demain, évoluant en dehors du temps. Lorsque leur attention dévie des champs qui s’étendent derrière la fenêtre, des détails, des flashbacks naissent des sensations suscitées par de accrocs pendant le voyage, leurs souvenirs magiquement ressuscités par toutes ces vétilles qu’ils rencontrent.

« Harriet dirige l’appareil photo vers lui, l’observe dans le rectangle, les couleurs y sont plus intenses, le vert des plantes plus lumineux, le ciel derrière papa plus bleu qu’en réalité, comme si elle regardait à l’intérieur d’un conte. » (p274)

Comme dans Les survivants, Alex Schulman se sert du passé de ses héros pour nourrir leur présent – à moins que ce ne soit l’inverse. Construit en trois temps qui se répètent et se rythment, Prochain arrêt emprunte aux voyages en train ce brinquebalement rassurant, qui berce tout en ne supportant pas le moindre cahot. Ces accrocs brisent la narration et lui donne un certain tempo, unissent encore davantage les temporalités. Les protagonistes qui se relaient effectuent le même trajet, peut-être dans le même wagon, à la même place quoiqu’à des années d’écart ; ils vivent un moment marquant de leur vie, lequel aura une incidence inexorable sur le futur, ce qu’ils sentent confusément, tout comme le lecteur. Pourtant, il faudra attendre que les pages défilent, que le suspense enfle, que les liens se tissent et se resserrent pour que l’évidence apparaisse, que les motifs se précisent. Alex Schulman sait instiller ce qu’il faut de malaise dans ces pages pour créer une gêne latente, parasite, qui donne envie de découvrir ce qui se dissimule au prochain arrêt – dans une gare ou dans les souvenirs –, ce que cache le mal-être de ses protagonistes. Leurs traumatismes d’enfance, mais aussi ceux des générations passées sont ancrés en eux et se révèlent lentement alors que les réminiscences éclosent ici et là. Les relations familiales perturbées sont au cœur de ce livre, tout comme dans son roman précédemment traduit – les pères, durs, intransigeants, s’éloignent des filles qui les craignent sans bien savoir pourquoi, ils ne se comprennent pas ; les mères abandonnent leurs enfants, les sœurs se séparent à jamais. Avec une grande finesse et une sensibilité tout aussi remarquable, l’auteur et son livre racontent ici l’âme humaine et sa noirceur, son insaisissable besoin d’obscurité et ses psychoses sous-jacentes.

Merci aux éditions Albin Michel qui en contribuant à enrichir aVoir aLire ont contribué à enrichir Pamolico.

Alex Schulman – Prochain arrêt
[traduit du suédois par Anne Karila]
Albin Michel
3 janvier 2024 (rentrée littéraire d’hiver 2024)
304 pages
20,90 euros

10 réflexions sur “Prochain arrêt, Alex Schulman

  1. J’aime les voyages en train, ceux que je fais et ceux que je lis 🙂. Les romans « ferroviaires » ont l’avantage d’être des huis clos en mouvement, ce qui permet de tisser de nombreux fils. Je découvrirai sûrement ce roman prochainement. A moins que tu ne me conseilles de commencer par Les survivants ?

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    1. Non, je te conseille plutôt de commencer par celui-ci qui sera sûrement moins clivant. La fin des Survivants est tellement particulière que beaucoup n’ont pas compris ce choix ou sont passés à côté (ce que je comprends même si je ne partage pas du tout 😉). Et puis, si tu aimes le rythme du train sur les rails, tu devrais être conquise !

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