Trencadis, Caroline Deyns

Caroline Deyns s’efface derrière la silhouette frêle de l’artiste qu’elle dépeint, si frêle et pourtant capable de donner vie à des ombres enflées, gonflées de vie et de couleurs. Niki de Saint Phalle, moitié Américaine, moitié Française, honnissait les angles droits, les cercles sans défauts, le parfait, le normal. Alors pour lui rendre hommage, voici un livre fragmenté, mosaïque éclatée formant finalement un tout pétillant et baroque, trencadis Gaudí-enne qui déconstruit pour reconstruire. Éclats de vie pêchus, rimant, chantant, amalgamés, misandres et féministes, rires d’enfants, dialogues venant d’ailleurs, monologue intérieur, bulles de mots, vers célèbres et citations majuscules à tous les égards, phrases enjolivées de quidams ayant croisé la sculptrice – médecin, fille de femme de ménage, voisine, psychiatre.

Inqualifiable, Trencadis est multiple, dansant, ondulant, composé d’une kyrielle de facettes pimpantes et ludiques mais aussi sombres parce que la vie de celle à qui Caroline Deyns offre un écrin de douceur sourde, de violence cachée et embellie par les sons, par les échos des mots, n’était pas toute en courbes. Abusée par son père, maltraitée par sa mère, corps encombré de maladies et esprit brouillé de traumatismes, Niki de Saint Phalle a vécu pour et par son art, a teinté de joie ses jours de peine grâce à ses expériences artistiques étonnantes et grâce à ses amants, à Harry puis à Jean. Elle s’est battue pour la vie, a cédé à l’appel de la mort avant de mieux ignorer le chant des sirènes, toute absorbée par ses teintes primaires et ses rondes imparfaites – parce que le parfait c’est le rigide, le frigide, l’aride bridant.

Trencadis est un hommage aussi vibrant qu’Apeirogon, hommage à la femme et à la vie qui triomphe et non hommage à un conflit millénaire, mais ode malgré tout, ode gazeuse et évanescente, ode frénétique et brillante. Fébrile et innovant, ce roman est de ceux qui imposent leur marque en nous et qui nous marquent.

Caroline Deyns – Trencadis
Quidam éditeur
Août 2020
354 pages
22 euros

Ils en parlent aussi : Pro/p(r)ose. Dealer de lignes. Et si…. Mumu dans le bocage. La livropathe. Les mots de la fin. La viduité. Domi C lire. Worldcinecat. Parlez-moi de livres. Isabelle Querlé. Des livres et vous. Laurent Gourlay. La bibliothèque Roz

Et pour une interview de Caroline Deyns, c’est sur Femmes d’art

13 réflexions sur “Trencadis, Caroline Deyns

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