Arc et Daffy, les jumelles de Chillicothe, dans l’Ohio, ont des cheveux crinière de feu et des yeux billes de sorcières. Elles vivent dans une maison triste dans un village triste auprès de femmes malheureuses et d’hommes malveillants, johns qui payent pour les corps et parfois les violent et les tuent. Elles grandissent dans les années 1980 auprès de leur mère et de leur tante toxicomanes – leur père est mort d’une overdose. Leur grand-mère, la narcisse soleil de leur vie disparaît trop vite, trop tôt, rayon de miel dévoré par le goudron, absorbé du côté sauvage. Elle les a initiées au crochet, leur apprenant que l’envers, là où les fils dépassent et révèlent le motif maladroit derrière la beauté est semblable à l’horreur de l’existence – il suffit donc de rentrer les fils pour transformer l’un en l’autre, de se raconter des histoires pour rendre la réalité plus supportable. Entre ces instantanés d’enfance où parfois pointe l’espoir, mais pour un instant seulement, se glisse le présent – la vingtaine tout aussi sordide malgré les amitiés sororales qui rendent la vie vivable. Pourtant, un tueur sévit : des femmes nues et couronnées de brindilles sont retrouvées dans la rivière, encore et encore, les veines marquées de trous d’aiguille, tandis que, en parallèle, l’autrice dédie certaines pages aux descriptions très crues des corps en décomposition.
Contrairement à Betty ou à L’été où tout a fondu dans lesquels la poésie de l’enfance triomphait, même brièvement, soleil inextinguible, rien n’est vraiment beau dans ce nouveau roman de Tiffany McDaniel. Tout ce qui pourrait l’être est sali, souillé par la drogue, le hasard malencontreux, le destin qui s’acharne. Ce qui pourrait être un récit d’un féminisme fulgurant se révèle en réalité une ode au désespoir où se mêlent tous les fléaux du monde – maltraitance, viols, prostitution, dépendance, torture inhumaine, meurtres. Rien n’est épargné aux héroïnes, inspirées des six victimes de Chillicothe dont la disparition fait certes frissonner, elle aussi entretissée des misères qu’exacerbe l’autrice ici. En dépeignant ces femmes de la sorte, Tiffany McDaniel donne le sentiment de les enterrer une seconde fois, malgré la beauté de certaines phrases, malgré l’attention qu’elle attire sur l’humanité fébrile derrière l’épidémie des opioïdes, la misère et la douleur. Elle paraît critiquer d’ailleurs à demi-mot Barbara Kingsolver et Demon Copperhead – « (…) quelqu’un remportera un prix Pulitzer pour avoir humanisé ce qui était déjà humain » (p. 704) – tandis qu’elle se livre au même exercice, dans une veine certes bien différente, et signe un récit bien moins humain.
En juin 2015, Robin Verner parlait des six victimes de Chillicothe pour Slate dans un article à retrouver ici.
De la même autrice sur Pamolico : Betty ; L’été où tout a fondu
Merci aux éditions Gallmeister qui en contribuant à enrichir aVoir aLire ont également contribué à enrichir Pamolico.
Tiffany McDaniel
[On the Savage Side – traduit par François Happe]
Gallmeister
7 mars 2024
720 pages
26,90 euros
Ils/elles en parlent aussi : Les passions de Chinouk. Livresse du noir. Aude bouquine. EmOtionS. Read look hear. Du calme Lucette. Tu l’as lu ?. Sin city
Ping : Tiffany McDaniel – Du côté sauvage | Sin City
Ouh… moi qui ai aimé Betty, je passe volontiers mon tour, là !!
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Oui, j’ai été très déçue…
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Très belle chronique, même si je ne sais pas encore si j’ai envie de me lancer dans cette histoire.
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Je te comprends et je ne te la conseille pas. Je ne sais plus, as-tu lu ses précédents ?
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J’ai lu L’été où tout a fondu, mais j’avais bien aimé sans plus. Et je n’ai jamais lu Betty.
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Continue peut-être avec Betty, à l’occasion, mais je trouve que L’été où tout a fondu est très représentatif de la plume de l’autrice.
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J’ai beaucoup aimé Betty, mais grâce à toi je passerai mon tour ici. Espérons que ce ne soit qu’un mauvais passage pour Tiffany McDaniel…
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Espérons… je te conseille vivement L’été où tout a fondu par contre, c’est une merveille (noire certes, mais lumineuse aussi par beaucoup d’aspects).
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C’est vrai que je n’ai pas encore lu celui-ci, quelle chance 😀
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Oui, je t’envie (mais il est dur aussi, choisis bien ton moment!)
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J’ai voulu l’acheter récemment en librairie et puis j’ai hésité. Ce que tu en dis me refroidit, je ne me vois pas lire quelque chose d’aussi glauque en ce moment. Heureux de te retrouver Cécile. Merci pour ce beau retour et la sincérité qui caractérise tes avis. 🙂
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Hello Frédéric, et ravie de te relire par ici 😊
Je ne crois pas que tu avais lu ses précédents ? Commence par là, il y a de quoi faire et ils sont durs, mais pas insupportables à mon sens alors que celui-ci…
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Je commencerais par « Betty », son tout premier roman. Belle après-midi Cécile 😊
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J’avais adoré Betty, mais je n’avais pas lu le suivant. Ce que tu dis de ce troisième roman ne me dis rien.
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D’autres ont adoré. Pour moi, c’est trop. Je te conseille plutôt L’été où tout a fondu !
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Après la note maximale de 5 sur le dernier magazine Lire, j’avais noté ce titre dans ma liste de souhaits. Ton avis remet en cause mes intentions. Je vais me contenter de Betty et du roman de Barbara Kingsolver. Merci
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« Trop c’est trop » résumerait bien mon ressenti, mais peut-être es-tu plus aguerrie que moi… merci à toi en tout cas, et bonnes lectures !
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Betty fut de très loin ma pire lecture de ces dernières années et Tiffany McDaniel une autrice que je n’ai absolument aucune envie de relire. Tout est tellement exagéré, écrit pour choquer. Ton billet laisse entendre que ce nouveau roman est encore bien pire que les précédents, je fuis!
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J’avais aimé Betty, adoré même, tant la poésie de l’autrice y éclairait la douleur. Ici, tu l’as compris, c’est bien pire et la poésie est bien dérisoire face au sort de ces pauvres femmes… fuis donc, effectivement !
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franchement, « une ode au désespoir », je passe
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J’ai été très déçue. Ses deux précédents avaient quand même trouvé un équilibre entre horreur et beauté, là non.
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j’avais beaucoup aimé « Betty » effectivement
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