Betty, Tiffany McDaniel

Betty est à la fois un crève-cœur et un ciel parcouru d’étoiles filantes, un rayon de lune reflété par un éclat de verre brisé. C’est un roman qui emporte loin, ailleurs, il y a longtemps, dans une histoire triste tissée de contes dorés et merveilleux, dans un état décidément source de bien des réussites artistiques. Après l’urbain Ohio, empreint des douleurs de l’Amérique d’aujourd’hui et de ses désillusions passées et présentes, le lumineux Betty de Tiffany McDaniel.

Betty, c’est la mère de l’auteure. C’est une enfant qui grandit alors que le lecteur tourne les pages, et dont la voix est pourtant déjà « mûrie par la sagesse, l’expérience et les bénédictions et les malédictions du passé » (‘I wanted her voice to be aged by wisdom, experience and the blessings and the curses of the past’ confie l’auteure au Los Angeles Times), une enfant au sang mêlé, mi-Blanche, mi-Cherokee à une époque où la peau laiteuse est la norme. En 1950 et bien après et bien avant, tous ceux qui ont des racines indiennes ou africaines ne valent pas grand-chose aux yeux des États-uniens. Mais le père de la fillette parvient, à grand-renfort de légendes douces et poétiques, de songes étoilés et magiques, à rendre supportables les moqueries, à métamorphoser les douleurs en ordalies cosmiques, en fables – Tiffany McDaniel voulait « fusionner ses propres mythes » à ceux de celui qu’elle nomme Papaw bien qu’elle ne l’ait pas connu (‘I wanted to merge my myths with Papaw’s’). L’univers onirique qu’il déploie comme un duvet pour envelopper ses filles et ses fils enrobe le roman de miel, d’une légère suavité sans laquelle les chapitres n’auraient pu se dérouler. Parce qu’avant tout, Betty, c’est le livre des désenchantements, des souffrances féminines, des abus masculins, de la foudre qui s’abat. La narratrice, ses deux sœurs et ses deux petits frères apprennent la vie en étant confrontés à elle, en réalisant lentement que les récits de leur père n’étaient que cela. Des récits qui tentaient vainement d’adoucir la dure réalité, de faire rêver des enfants encore candidement heureux parce qu’ensemble, parce que pouvant s’égarer dans la forêt de tous les miracles, au pied de ces collines qui déjà réconfortaient la famille de Nuits Appalaches. Pourtant, le malheur a toujours plané au-dessus des Carpenter, comme un orage menaçant, attendant le bon moment pour frapper. Betty, c’est « une obscure clarté » toute droit tombée « des étoiles », comme le dirait Pierre Corneille (Le Cid), c’est un mélange de « rouille et de poussière d’étoiles » comme l’écrirait Nabokov (Lolita). C’est le poignard qui empale les filles, c’est leur absence de pouvoir, leur soumission forcée. Mais c’est aussi les comètes dans leurs yeux et leurs fantasmes d’enfants rêveurs.

« La chambre autour de nous a disparu dans notre esprit et nous avons dansé jusqu’au moment où nous nous sommes retrouvées dans une clairière en pleine nuit. Sous une voûte sans étoiles. Nous avons levé le drap de plus en plus haut et la fille dessinée s’est retrouvée propulsée vers le ciel pour finalement se désintégrer en un milliard de particules de lumière. » p396

Ce roman, publié aux éditions Gallmeister, a été couronné du prix America 2020 et du prix du roman Fnac, succédant ainsi à De pierre et d’os. Il est également en lice pour le prix Fémina étranger.

Les photographies représentent Betty elle-même et Landon Carpenter. Elles proviennent du site créé par Tiffany McDaniel à l’occasion de la sortie du livre.

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36 réflexions sur “Betty, Tiffany McDaniel

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  9. Manon Dmrd

    Tu as posé des mots sur ce que je n’avais pas vu, merci ! Il faut vraiment que je reprenne le temps de venir me perdre ici plus souvent. Un vrai coup de cœur pour moi, ce livre. J’ai pleuré en le refermant (c’était une grande première pour un livre).

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    1. Avec plaisir 🙂
      C’est toujours compliqué au début… sache que WordPress fonctionne un peu comme un réseau social (et que l’appli et plutôt bien faite), cela t’aidera à trouver ta place.
      Oui c’est enrichissant de voir les personnages en chair et en os… même si on regrette qu’il n’y ait pas les frères et sœurs.
      Au plaisir d’échanger !

      J’aime

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