Derrière Betty qui couvait pourtant déjà, il y a ce premier roman aujourd’hui réédité dans une nouvelle traduction de François Happe, il y a cet été où tout a fondu, où la chaleur a enveloppé Breathed, village de l’Ohio, et l’a recouvert de cire brûlante, aussi brûlante que des larmes, aussi brûlante qu’un premier chagrin d’amour, que la honte jamais oubliée, que l’affection sans borne d’un frère.
Fielding, aujourd’hui un vieil homme rongé par la mélancolie et les regrets, par la solitude, raconte ces mois de 1984, cette fournaise faite de tragédies et de tendresse, ces mois qui l’ont marqué au fer rouge et dont il n’a jamais pu se remettre. Il raconte cet été où le diable est arrivé à Breathed en la personne d’un garçon de treize ans, à la peau noire et aux yeux verts. Sal connaît la Bible par cœur et sait transformer la vie de Lucifer en contes. Il a des cicatrices d’ailes arrachées dans le dos, il offre la pluie en cadeau, fleurit le corps meurtri de son amoureuse et éclate des ballons jaunes. Il devient le meilleur ami de Fielding, son frère de cœur alors que Grand, le « jeune dieu », l’aîné gentil et courageux choit de son piédestal, ange déchu mais toujours là, protecteur, ombre gardienne. Leur maison est un voyage, un arc-en-ciel de pays et de couleurs, une prison dorée dont jamais ne s’échappe Stella, leur étoile maternelle qui craint le ciel et ses larmes, un refuge où leurs fils se cachent, un bureau pour Autopsy Bliss, leur père procureur si semblable à Atticus Finch et à ses oiseaux moqueurs à protéger, au-delà des sonorités jumelles – course à la justice, lutte contre le mal qui n’habite peut-être pas dans cet enfant à la peau couleur cirage, couleur de nuit. Comme Harper Lee, Tiffany McDaniel crée un filtre qui floute la haine, fait de l’enfance un voile qui transforme tout, rend plus aiguisés les mots, plus vives les blessures, plus cruel le fiel, mais plus merveilleux le reste.
L’Ohio est au Nord, loin du Sud et des lois Jim Crow abolies mais en plein cœur de la Bible Belt, de ce terreau où poussent le racisme et l’homophobie. L’arrivée d’un démon noir, d’un enfant qui semble adulte avec sa sagesse de vieil homme échauffe les esprits, fait onduler l’air de vagues de chaleur et de colère, transforme les sourires en rictus sinistres.
Quelle joie térébrante que de retrouver Tiffany McDaniel et sa langue chantante, sa poésie qui fait du prosaïque la beauté même, qui fait du banal la pureté, qui tisse des métaphores, les entrelace au réel et à l’absurde dont seuls sont capables les bambins, absurde aux raisons déchirantes et sublimes. L’été où tout a fondu fait s’évaporer la douceur de l’enfance, couler le chocolat, dégouliner sur les murs l’amour qui ruisselle alors et s’enfonce dans le sol desséché pour ne jamais reparaître. Les liens familiaux n’ont pas cette âpreté violente qu’ils revêtent dans Betty, où alors en filigrane, devinables sous le glaçage poétique ; ils sont dits avec une infinie tendresse, une justesse bouleversante et étoilée de douceur qui va fondre à son tour dans un brasier méphistophélique, aussi sûrement que la félicité portée par le nom de cette famille – Bliss ou bonheur sans borne ni frontière.
Merci aux éditions Gallmeister qui en contribuant à enrichir aVoir aLire ont aussi contribué à enrichir Pamolico.
Tiffany McDaniel – L’été où tout a fondu
[The Summer That Melted Everything – traduit par François Happe]
Gallmeister
18 août 2022 (rentrée littéraire d’automne 2022) (première édition chez Joëlle Losfeld : 2019)
480 pages
25,60 euros
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Encore un retard de lecture. Il est dans ma liseuse en plus. Mes lectures historiques me font lire moins de romans. Une autrice que j’ai envie de lire. Les fêtes se profilent, j’aurais davantage de temps 😉
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C’est une lecture à la fois très dure et magnifique. J’espère que tu auras l’occasion de t’y plonger, en effet, même s’il est peut-être trop noir pour cette période de fêtes.
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Je veux absolument le lire le nouveau Tiffany MCDaniel. J’ignorais que c’était la réédition de son tout premier roman avec une nouvelle traduction. Comme toujours chez Gallmeister la couverture est si belle. La photo, avec les pétales de fleur et les bougies est très réussie. C’est beau ! Passe un excellent weekend Cécile 😊
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C’est un roman vibrant, dur mais très beau. L’autrice saisit si bien l’enfance, sa poésie décalée et tendre.
Je crois que c’est son premier roman en terme d’ordre de publication, mais son deuxième en terme d’écriture (à vérifier), mais oui, Joëlle Losfeld avait découvert cette pépite avant Gallmeister (et ses très belles couvertures, je suis d’accord) 😉
Merci beaucoup !
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Bouleversée par Betty, évidemment j’ai envie de lire ce roman !! le titre sonne de manière troublante après cet été où tout a fondu aussi…
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Oui… je l’ai lu au moment où il faisait si chaud et c’était effectivement étonnant.
C’est un magnifique roman sur la bigoterie mais aussi et surtout sur l’enfance que l’autrice saisit décidément si bien (et par le biais de laquelle elle aborde beaucoup de sujets). Il n’a rien à envier à Betty qui fut pourtant un superbe coup de cœur lui aussi !
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Après le fabuleux Betty, j’ai hâte de retrouver sa plume !
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Surtout que L’été où tout a fondu est au moins aussi beau !
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Ton avis rejoint celui de ma libraire préférée qui avait moyennement aimé Betty ( comme moi, d’ailleurs) mais qui dit avoir trouvé celui ci extraordinaire ! Alors, forcément, je vais finir par craquer !
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Ah mais j’ai quand même été conquise par Betty ! Celui-ci est très différent mais la plume de Tiffany McDaniel est toujours aussi belle, voire davantage.
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je note, j’ai beaucoup aimé « Betty » alors celui-ci a rejoint ma PAL 🙂
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Il est peut-être plus touchant encore que Betty. Je t’envie d’avoir à le découvrir 🙂
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Je ne lis pas ton billet car je vais lire ce livre très bientôt 😉
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Ah, régale toi alors 😉
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Un deuxième succès donc ? J’ai hâte 😉
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Oh la oui !
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Je suis déçue de ne pas ressentir le même engouement que la plupart des autres lecteurs, malheureusement je suis passée complètement à côté de ce roman. L’auteure cette fois-ci n’a pas su me prendre au jeu de son récit. Le postulat de départ m’a beaucoup plu mais pour le reste il y a beaucoup trop de longueurs, je n’arrivais pas à m’attacher aux personnages et j’ai fini par m’ennuyer et je ne l’ai pas terminé. Je vais le passer à ma fille pour avoir son avis car je me dis ce n’est pas possible je n’ai pas lu le même livre que les autres lecteurs
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Quelle belle chronique, totalement irrésistible par ailleurs ! Merci
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Merci beaucoup !
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Une bien agréable chronique, magnifiquement ouvragée pour mieux se fondre dans le fluide romanesque de Tiffany McDaniel. Ne me reste plus qu’à me laisser dissoudre à mon tour dans les pages de ce « mocking bird » migrateur. Merci.
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Merci à toi pour ce commentaire qui me fait chaud au cœur.
C’est un livre magnifique, très touchant. L’autrice sait vraiment se mettre à hauteur d’enfants, imaginer des réactions naïves et sages, absurdément belles, et cette perspective permet d’aborder de durs sujets de manière à la fois plus juste et plus déchirante.
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