D’aucuns l’ont déjà écrit, et le titre du classique britannique apparaît comme une confirmation ou un avertissement en exergue du roman – Demon Copperhead est le David Copperfield américain des temps modernes. Barbara Kingsolver joue d’ailleurs avec l’onomastique, les noms de ses héros rappelant étrangement ceux des personnages qui peuplent le roman de Charles Dickens, silhouettes transposées de l’urbaine Angleterre victorienne à la ruralité du comté de Lee à la fin du XXème siècle. Leur présence réécrite permet à l’autrice de suivre une trame parallèle à celle du classique, les échos se multipliant au fil des pages pour que Demon Copperhead devienne l’exact reflet de David Copperfield, jusqu’aux initiales reproduites.
Dans ce récit d’apprentissage aux mots simples et familiers, au prosaïsme franc et direct, Barbara Kingsolver raconte ainsi les misères qu’il rencontre dès sa naissance et jusqu’à peu après sa majorité, mais elle se concentre surtout sur sa résilience. Né dans la Virginie profonde, en plein cœur de ces Appalaches rongées par la drogue, le dénuement et la violence, le jeune narrateur a pour mère une toxicomane et bientôt pour beau-père un homme violent et d’un égocentrisme très masculin. Puis la vie suit son cours, l’assistance sociale entre en jeu et Demon survit, envers et contre tout, aussi résistant que les super-héros de comics qu’il dessine compulsivement. Les foyers se suivent et la malchance l’emporte souvent, entre accidents inévitables et rencontres heureuses-malheureuses.
Autour de celui qu’on appelle Demon Copperhead en référence à son père et aux écailles des vipères cuivrées qui lui ont donné sa rousseur, les protagonistes de ce roman sont rarement empreints de bonté, à quelques exceptions près. Les hommes sont des coqs qui utilisent les femmes ; les femmes, des poupées fragiles qui ne peuvent se sauver toutes seules de ce que les hommes leur font subir quand elles ne s’érigent pas elles-mêmes en leurs propres tortionnaires. Mais sur cette noirceur se surimpriment des silhouettes lumineuses et porteuses d’espoir – la sœur adoptive à la répartie sans égale, la tante lointaine au sourire d’ange, le frère de cœur trop gentil, le couple de profs pleins de bonnes intentions. Et Demon, toujours.
Roman picaresque au ton gouailleur, On m’appelle Demon Copperhead donne une voix aux hillbillies de l’Amérique des déclassés, pointe du doigt le fléau des opiacés et raconte un destin à la fois hors-norme et banal. Orphelin sans espoir, petit-fils aux yeux brillants, amoureux transi et ami indéfectible, Demon embrasse différents statuts au fil de sa jeune existence, se bat même quand il fait mine d’abandonner, le cœur du lecteur en bagage alors qu’il raconte ses péripéties d’une voix authentique aux mots simples et familiers.
Ce roman est lauréat du prix Pulitzer (ex aequo avec Trust de Hernan Diaz) et du Women Prize for Fiction.
De la même autrice sur Pamolico : Des vies à découvert
Les comics en arrière-plan sont des numéros de The Watchmen.
Sur Ernest !, retrouvez un autre éclairage sur ce roman qui raconte, entre autres, l’Amérique trumpiste.
Barbara Kingsolver – On m’appelle Demon Copperhead
[Demon Copperhead – traduit par Martine Aubert]
Albin Michel (Terres d’Amérique)
1er février 2024 (rentrée littéraire d’hiver 2024)
624 pages
23,90 euros
Ils/elles en parlent aussi : Ma dose d’encre. Papivore. Mots pour mots. Charlotte Parlotte. EmOtionS. Nyctalopes. Le bouquineur. Dealer de lignes. The unamed bookshelf. Kitty la mouette. Ballade au fil de l’eau. La bibliothèque Roz. Stelphique. La culture dans tous ses états. Les histoires de Pâquerette
Il est fort probable que je le lirai dès que j’aurai du temps. Il est sur ma liste d’envies à la médiathèque où je vois avec plaisir qu’il est très très demandé. J’ai lu plusieurs livres de Barbara Kingslover déjà.
Merci pour cette chronique.
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C’est un roman qu’il faut prendre son temps pour lire je trouve, donc oui, attendez d’avoir de belles heures de lecture devant vous !
J’en ai beaucoup qui m’attendent, mais ce n’était que le second titre de l’autrice que je découvrais, donc difficile de comparer.
Merci à vous de ce passage.
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Tu en parles magnifiquement. Plus d’espérance que dans le dernier Tiffany McDaniels. Le sujet n’est pourtant pas évident mais je vais le lire de façon certaine. On en dit trop de bien. S’il y a une place pour l’espérance je suis preneur 😉🙂
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L’espoir est discret mais indéniable ici, effectivement 😉 et il fait du bien, contrebalançant presque la douleur qui sourd du roman.
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Ping : Du côté sauvage, Tiffany McDaniel – Pamolico – critiques romans, cinéma, séries
J’aimais beaucoup cette autrice à une époque et justement une de mes amies m’a chaleureusement recommandé ce roman alors si tu en rajoutes une couche je vais finir par me laisser séduire je crois 🙂
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Je pense qu’il te plairait. Il est noir mais l’espoir est toujours présent, et on apprend à apprécier Demon petit à petit, ainsi que son franc-parler et sa langue simple.
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Je ne savais pas que l’auteure écrivait encore. Merci pour ce conseil de lecture.
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Merci à toi de ce passage !
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J’ai repéré ce roman (dans sa version audio) et ton avis me donne envie de le découvrir sans trop attendre !
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C’est un beau roman, attachant et ample, qui dit beaucoup de l’Amérique.
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Je n’ai pas lu David Copperfield qui semble être la référence de ce roman. Mais j’aime plutôt les poèmes de Barbara Kingsolver.
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Oui c’est la référence et je pense qu’on perd une double lecture brillante en ne l’ayant pas lu (ce qui est mon cas aussi), mais rien n’empêche de se renseigner sur le classique en parallèle !
Je n’ai jamais lu ses poèmes, il faudrait que je m’y penche.
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J’ai aimé les romans de l’autrice que j’ai lus (quatre ou cinq, tout de même) mais sans l’enthousiasme que j’ai pour quelques-un(e)s de ses collègues américain(e)s. J’attendrai donc celui-ci en bibliothèque, c’est plus sage.
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Oui, c’est peut-être plus raisonnable en effet.
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