Voyage en territoire inconnu, David Park

David Park parvient à saisir la volatilité du monde – la fragilité lourde de la neige, l’évanescence d’un flocon, d’un baiser, l’éphémère d’un instant, de la jeunesse, l’inconsistance d’une occasion passée, sa légèreté. Tom, alors que la poudreuse blanchit le Royaume-Uni, part pour Sunderland, vers son fils qui l’attend, son fils étudiant, malade, qui ne peut décemment pas passer Noël seul – surtout pas cette année, cette année-là entre toutes. La route est longue, de la campagne irlandaise à l’Angleterre – le paysage monochrome défile, le rythme monocorde de la voiture berce Tom, la musique qui recouvre les heures leur donne cette saveur étrange, propice aux réminiscences. Le présent du trajet se floute alors que le héros se laisse engourdir par ses souvenirs, chaque détails croisés sur le chemin le ramenant des années en arrière, moments qui redeviennent présent l’espace d’un instant. L’enfance de ses fils, de sa fille, les Noëls joyeux, la rencontre avec sa femme, le film de ses jeunes années se déroule, pellicule fanée, alors que le blanc l’éblouit, blanc du ciel, blanc de l’asphalte, blanc de son esprit, blanc de sa culpabilité.

C’est un voyage en territoire inconnu que relate et propose David Park. Il invite le lecteur à se laisser porter, bercer par la chute silencieuse des flocons et le maelström étourdissant du passé qui devient présent, sans transition. L’auteur retranscrit ce qui se passe dans l’esprit d’un homme qui pense, conduit, gagné par la monotonie de la chaussée, rongé par ses remords. Peu à peu, alors que le roman se laisse pénétrer, que son cœur affleure sous l’édredon nivéen, une tension apparaît, alourdit l’air autant que la neige. C’est insidieux, presque oxymorique dans ces tableaux purs, d’une blancheur maîtresse, inviolée – et pourtant c’est bien là, sous-jacent. Le récit est haché, mais c’est ce qui, paradoxalement, fait son unité. Ces pensées saccadées, cette alternance entre souvenirs et étendue éclatante ont quelque chose de captivant lorsque la lecture est continue – ce voyage en territoire inconnu mène aux tréfonds d’un homme, photographe, recadre le monde en le parant d’ombre et de lumière, en le faisant légèrement basculer, comme si la terre n’était plus horizontale, plus tout à fait.  

David Park écrit aussi bien l’infinie fragilité de l’être que la permanence fébrile de la nature disparue sous la neige, trouve un équilibre oscillant et signe un roman superbe sur la paternité et la difficulté de se pardonner ses fautes.

Crédits (de gauche à droite) : photographies en noir-et-blanc de Denis Thorpe (Mr Lowry’s Hat) et de Sonya Whitefield. Cette dernière propose un voyage photographique en territoire inconnu sur son blog.

Un grand merci aux éditions de la Table ronde qui en contribuant à enrichir aVoir aLire ont également contribué à enrichir Pamolico.

David Park – Voyage en territoire inconnu
[Travelling in a Strange Land – traduit par Cécile Arnaud]
La Table Ronde
3 février 2022 (rentrée littéraire d’hiver 2022)
208 pages
20 euros

Ils/elles en parlent aussi : Rédactrice. June and Cie. Charlotte Parlotte. Lettres d’Irlande et d’ailleurs. Dealer de lignes. La viduité

8 réflexions sur “Voyage en territoire inconnu, David Park

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    1. Un coup de cœur pour moi. De la finesse, de l’intelligence, un sujet fort qui ne se révèle que peu à peu, une grande maîtrise narrative et une rare justesse émotionnelle. Que j’aime cette maison d’édition !
      Oui, je me souviens de nos échanges à propos de tes livres et chroniques en retard… de mon côté, ça se calme un peu 🙂

      Aimé par 1 personne

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