Après avoir décrypté la vie de Beckett et de Yeats, Maylis Besserie s’intéresse à un autre artiste britannique mystérieux et intimidant, donne un sens aux courbes torturées et sanglantes signées Francis Bacon. Elle alterne les descriptions ciselées de certaines de ses œuvres, la narration s’adressant alors au peintre, et le récit simple mais immersif de sa Nanny qui revient sur son enfance, son adolescence puis la métamorphose, l’identité de Bacon qui se dévoile enfin.
À travers ces chapitres qui rendent compte de la vie de la vieille dame auprès du garçon puis de l’homme, le caractère de Francis Bacon, les méandres de son existence sont eux aussi mis en lumière, ce qui éclaire d’une autre manière sa peinture si violente, sanglante, bouchère. Enfant souffreteux maltraité par son père et ignoré par sa mère, frère d’aînés emportés par le destin, homosexuel persécuté mais aimant finalement les coups, fils de substitution d’une femme qui l’aime plus que tout, l’artiste souffre et adore, semble habité d’une fureur de vivre peu perceptible dans ses tableaux dont s’élèvent tant d’effluves macabres. Là où ses triptyques écœurent et oppressent, à la manière du cri de Munch, sa Nanny le rend humain, homme d’émotions qui aime vivre malgré ses douleurs auxquelles font écho les drames du XXème siècle – guerre et famine.
Le livre va et vient des tableaux ondulants et brutaux aux silhouettes qui traversent la vie de l’artiste, d’une poésie rythmée et chantante aux phrases prosaïques et paysannes de la nourrice. Les niveaux de langue se mêlent ainsi avec beaucoup de fluidité, le langage authentique et imagé de la vieille dame fusionnant avec le décodage mystérieux et extrêmement poétique des toiles. Ces passages leur donnent une contenance, expliquent sans en avoir l’air la matière malmenée par le maître, les corps déformés, chair rabaissée à son statut primal de viande.
Maylis Besserie parvient à créer un roman vivant, loin du morbide de certains coups de pinceaux qu’elle décrypte pourtant avec soin. Sa plume confère de la pureté au macabre là où les chapitres qui décrivent certaines œuvres leur répondent, mots choisis pour explosion de peinture, maelström rougeoyant. Tourbillons de métaphores sensorielles, ces parenthèses confèrent toute son épaisseur au roman, concentré de couleurs qui l’emportent sur les tragédies ponctuant l’existence du peintre.
Merci à Gallimard qui en contribuant à enrichir aVoir aLire a également contribué à enrichir Pamolico et un grand merci à l’autrice pour sa dédicace.
Maylis Besserie – La Nourrice de Francis Bacon
Gallimard
17 août 2023 (rentrée littéraire d’automne 2023)
256 pages
20 euros
Ping : Noël 2023 – livres en pagaille – Pamolico – critiques romans, cinéma, séries
Je n’apprécie pas du tout ce peintre. Bonne journée
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Mais moi non plus ! Justement, l’autrice a réussi à la rendre humain, à faire naître de la poésie, étonnamment, du macabre. Bref, je te le recommande malgré tout 😉
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Fan de l’œuvre de Francis Bacon, je ne peux que noter ce titre-là ! Tu as lu Tableau final de l’amour de Larry Tremblay (La Peuplade) ? Une violente plongée dans la vie et les derniers jours de Bacon.
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Ah non, mais je note, merci !
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À découvrir aussi : Francis Bacon, le ring de la douleur de Pierre Charras. Un court roman qui évoque les œuvres de Bacon à travers le regard d’un homme complètement novice question art. Chaque tableau fait bouger quelque chose en lui et convoque les souvenirs. Un livre que j’avais beaucoup aimé à sa sortie (il y a fort longtemps !).
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Merci pour tous ces conseils ! Les toiles de Bacon me glacent et m’écœurent, mais je ne suis pas contre ces éclaircissements.
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Je pense que je n’apprécie pas assez l’oeuvre de Bacon … Elle me met mal à l’aise sans me toucher.
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Je suis comme toi et justement, on entrapercoit l’homme ici, on comprend peut-être un peu mieux. Et puis l’autrice décrypte ses toiles et les rend sans doute de ce fait un peu moins macabres. Enfin bref, je te le recommande malgré tout !
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Merci pour cette chronique !
Je me souviens avoir étudié les œuvres de Francis Bacon au lycée (série L, option Arts), et sa représentation du Papa m’a très longtemps fascinée/épouvantée…
Il y a quelque chose de palpable et de troublant dans ce tableau je trouve, et je ne l’ai jamais oublié !
Peut-être que mon amour du lore de Dark Souls vient de là ^^
Je ne crois pas que nous avions abordé sa vie privée de manière aussi poussée pendant les cours, c’est donc ultra intéressant d’en savoir un peu plus sur lui et je comprends mieux la noirceur de ses œuvres maintenant
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du Pape*, évidemment ^^
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A découvrir, donc ! Hâte 😉
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Oui ! Connaissant ton amour pour la peinture, je te le recommande chaudement 😉
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Merci à toi de me lire aussi assidûment !
Ses tableaux sont assez traumatisants et marquants, je suis d’accord. Il n’est pas question de la toile dont tu parles, mais légèrement de sa religion dans une Irlande déjà en proie à des troubles annonçant ceux que nous connaissons.
Je te conseille donc ce livre qui éclaircit beaucoup tout en choisissant deux registres dont j’ai aimé la complémentarité.
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