Le Royaume désuni, Jonathan Coe

Ce roman familial est le troisième opus d’un cycle romanesque presque confidentiel (dont fait partie Billy Wilder et moi) mettant en scène les Foley – ici, de très loin. Ce sont les traces des Lamb qui sont suivies dans ce livre, autant que celles de leur pays – l’Angleterre du football et de la royauté, du chocolat trop riche et de l’euroscepticisme culminant avec le Brexit.

Jonathan Coe s’inspire de sa mère, Janet, pour imaginer le destin de Mary, l’héroïne, que le lecteur retrouve à plusieurs époques de sa vie. Grand-mère alors que la pandémie de Covid éclate, elle fut aussi une enfant têtue, en extase au-dessus du tabac de son père, une adolescente au cœur déchiré entre deux hommes, l’un travailliste, l’autre conservateur, et la mère énergique et aimante de trois fils très différents – Peter, un musicien gauchiste, Martin, un « modéré », et Jack, une boule d’énergie pleine d’assurance Tory. L’auteur revient donc sur ses pas : il prend pour départ la triste année 2020 et ses miasmes qui se répandaient déjà, fermant les lieux culturels les uns après les autres, pour rebondir et s’enfuir dans le passé qu’il aime tant – avancer pour mieux voir venir ce présent douloureux. Il reste dans les alentours de Birmingham et relate les étapes marquantes de la vie de Mary, et, plus tard, de certains moments choisis de l’existence de la famille, de Jack, Peter et Martin – ce dernier croisera même un certain Paul Trotter, héros des Enfants de Longbridge – faisant de ce microcosme un concentré identitaire et sociétal.

Rythmé par les événements fédérateurs qui unirent tout le peuple britannique en les baignant d’une lumière cathodique, Le Royaume désuni n’est pas dénué de cet humour cocasse et discret, saupoudré d’une nostalgie certaine et signature de Jonathan Coe. Comme souvent chez l’écrivain anglais, la narration est ici et là entrecoupée d’écrits originaux : ainsi, des entrées de journal intime redonnent vie au Londres du siècle passé, une lettre introduit une nouvelle branche de la famille, un mail revient sur un souvenir d’enfance. En évoquant à plusieurs reprises les célébrations liées à la famille royale – du couronnement d’Elizabeth aux funérailles de Diana, entre joie et chagrin nationaux –, l’auteur offre un voyage dans un hier qui passe pourtant trop vite. De fait, comme dans Le cœur de l’Angleterre, Jonathan Coe s’attache davantage à son pays qu’à ses personnages, les abandonnant plusieurs fois pendant de longues années pour les retrouver plus âgés, à un endroit qui n’est pourtant pas si différent de là où il les avait laissés. Malgré cette frustration de ne pas voir évoluer et grandir – mais davantage vieillir en accéléré – les hommes et les femmes à qui l’auteur donne vie, le lecteur savoure ces pages, leur tendresse et leur comique parfois teinté d’absurde – saviez-vous que le chocolat de Bournville avait été boudé par l’Union Européenne pendant des années ? N’en disons pas plus et laissons Jonathan Coe transformer cette anecdote en compte-rendu de réunion parlementaire délicieux.

Jonathan Coe – Le Royaume désuni
[Bournville – traduit par Marguerite Capelle]
Gallimard
10 novembre 2022
496 pages
23 euros

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