Antarctique, Olivier Bleys

Après Discours d’un arbre sur la fragilité des hommes, conte tendre ancré dans la Chine miséreuse rongée par la cupidité, Olivier Bleys part pour le pôle Sud d’inaccessibilité, point antarctique le plus éloigné de toute côte. En 1961, sur la base soviétique de Daleko vivent cinq poliarniks – ou plutôt quatre. Alors que s’ouvre le roman, un meurtre est commis suite à une tricherie triviale qui, voilée par la vodka, revêt des airs de trahison. Dès les premières pages, le ton est grinçant, Olivier Bleys annonçant la farce macabre qui s’ensuit. Sous des mètres de neige, aveuglés tantôt par le soleil brûlant tantôt par les tourbillons de flocons, les quatre survivants se tournent autour, le chef de la station, Anton Loubachev décidant finalement de la mise à l’isolement du meurtrier, Vadim, (et du cadavre) dans l’attente de son jugement par Moscou. Or, leurs moyens de communication avec la civilisation sont réduits, voire inexistants, et les rancunes cristallisent la tension qui planait déjà dans l’air épais et glacé…

L’humour noir de ce roman est terrible, aussi glaçant qu’il n’est hilarant, l’écœurement le disputant au rire franc. L’auteur crée une sorte de fable farcesque sans morale, son Antarctique étant la parfaite illustration de la loi du talion. La narration omnisciente vacille de Vadim à Anton, permettant au temps cotonneux, étouffé par la neige et par la langueur des jours, de ne pas lasser le lecteur.

La nature humaine, dans des conditions extrêmes et face au danger, efface l’humanité des actes pour lui préférer l’instinct de survie et la sauvagerie. La bonté n’a pas sa place en terre australe, même lorsque le paysage immaculé se pare des reflets des aurores boréales. En cela, le roman s’inscrit dans la lignée de ces titres qui se bâtissent sur la petitesse de l’homme face à l’animal qu’il cache et face à la nature – Au-delà de la mer de Paul Lynch ou, plus septentrional, Soudain, seuls d’Isabelle Autissier. Pourtant, le ton mordant fait de cette lecture une expérience à part, entre sordide et jouissif, émaillé de la beauté hautaine de la banquise. Si les personnages de ce huis-clos sont presque tous détestables et leurs actes, pour le moins discutables, Olivier Bleys ne néglige pas la poésie de la lumière polaire et même de la rusticité sale du foyer de ces hommes, oubliés du monde.

Olivier Bleys – Antarctique
Gallimard
10 février 2022 (rentrée littéraire d’hiver 2022)
192 pages
17 euros

10 réflexions sur “Antarctique, Olivier Bleys

  1. Ping : Le mot pour dire rouge, Jon McGregor – Pamolico – critiques romans, cinéma, séries

  2. Ping : Noël 2022 – livres en pagaille – Pamolico – critiques romans, cinéma, séries

Laisser un commentaire