Paul Lynch : l’onde pour seul horizon
Bolivar n’est qu’un pêcheur. Il ne connaît que la mer et ses poissons, son panga et ses filets. Un jour, alors qu’une tempête approche, il décide de prendre le large malgré tout et entraîne avec lui un adolescent que son patron lui a amené, faute de son partenaire habituel. Le vent se lève, les vagues les emportent, loin. Le moteur ne fonctionne plus.
Paul Lynch, avec ce scénario d’une apparente simplicité, construit un récit abouti qui oscille entre roman et réflexion philosophique. L’océan, à l’infini, et rien au-delà de la mer si ce n’est le bleu du ciel qui se confond avec l’onde. Bolivar et Hector survivent, la peau tannée par le sel et le soleil, la bouche sèche et l’estomac creux. Ils réfléchissent, confrontés à la mortalité de l’homme, à sa fragilité et à sa petitesse face au monde. Quand il n’est plus maître de son destin, son esprit déraille – avant le corps. Les deux marins laissent les souvenirs teinter l’horizon, les tentacules visqueuses du regret et de la vie d’avant engourdir leurs pensées. Ils pêchent et mangent. Dissertent sur leur existence passée, achevée, à jamais, se disputent, s’inquiètent de ce qui arrive aux vivants – eux-mêmes le sont-ils encore ? Le temps se contracte, s’arrête même, immuable alors que l’aube succède à l’obscurité qui succède au crépuscule, que les vagues lèchent encore et encore la coque de la frêle embarcation qui pourtant résiste à leur assaut et à celui de la pluie et des éclairs.
Poésie et monotonie au-delà de la mer
Quand la vie devient survie et que l’esprit ne peut plus que divaguer, suivre le rythme du courant, se laisser submerger par la lassitude et le monotone des jours et des nuits. Soudain, seuls d’Isabelle Autissier imaginait déjà le retour à la bestialité primale, aux instincts les plus basiques de l’homme qui est perdu, loin de la société et de la terre ferme et verdoyante, en milieu hostile qui ne veut pas de lui et rue pour se débarrasser de sa présence nuisible – même ici, en plein milieu de la mer où flottent des îlots de plastique. Vendredi ou la vie sauvage créait quant à lui une enclave de sable et confrontait l’homme à lui-même, comme Robinson Crusoé avant, et d’autres à sa suite. Pourtant, malgré quelques longueurs, inévitables, et une certaine monotonie, Au-delà de la mer ne se confond pas avec ces récits de survie, porté par un souffle poétique qui épouse l’onde marine, par une langue chantante, sublimée par Marina Boraso, qui s’essouffle bientôt alors que les deux héros perdent leurs forces et ressassent, ruminent, hallucinent.
Effrayant et sublime dans le sens le plus littéraire du terme.
Un grand merci aux éditions Albin Michel (Terres d’Amérique) qui en contribuant à enrichir aVoir aLire ont également contribué à enrichir Pamolico.
Paul Lynch – Au-delà de la mer
[Beyond the Sea – traduit par Marina Boraso]
Albin Michel (Terres d’Amérique)
18 août 2021 (rentrée littéraire 2021)
240 pages
19,90 euros
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Heureux de partager tes sentiments sur ce livre. Il y a un peu de monotonie en effet mais pas d’ennui.
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D’autant que la langue n’est pas monotone donc le contraste avec l’action porte le roman, je suis d’accord avec toi. Merci de ton passage !
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Je suis très heureux que tu ais adoré ce roman de Paul Lynch qui est un coup total pour moi aussi tu le sais déjà. Ta critique est des plus réussies. Passe une excellente soirée Cécile 😊
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Merci beaucoup ! Oui je sais que tu as été conquis, encore plus que moi d’ailleurs 😉 bonne journée à toi Fred
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Ton article donne envie d’embarquer, il faut bien le reconnaître. Bonne occasion de prendre le large page après page.
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Je t’y encourage en tout cas !
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Bonjour,
Petit commentaire technique, ce livre ne fait pas partie de la collection Terres d’Amérique, par ailleurs Paul Lynch est irlandais.
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Bonjour,
Je suis désolée de vous contredire mais ce roman fait bien partie de la collection Terres d’Amérique et m’a même été transmis par son directeur… Comme son nom ne l’indique pas, la collection publie des titres anglophones sans distinction d’origine. Sherman Alexis est Australienne, Paul Lynch Irlandais, tout comme Donal Ryan, également édités ici…
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A reblogué ceci sur Le Bien-Etre au bout des Doigts.
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Je l’ai commencé, puis j’ai marqué le pas, puis j’ai fait une avance rapide et … je l’ai arrêté net. A reprendre peut-être ? Tu es la première critique que je lis, je suis peut-être passée à côté …
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Il avance par vagues, fait se succéder envolées lyriques, réflexions philosophiques et survie… mais j’ai ralenti également une fois arrivée à la moitié avant de le reprendre. La seconde partie est peut être trop longue mais la plume a une beauté poétique qui fait passer outre la monotonie qui s’installe je trouve.
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Non, mais tu as raison, je n’avais pas l’esprit à ce livre tout en sentant son intérêt, je le reprendrai.
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Peut-être à lire en même temps qu’un autre, lentement 🙂
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