La plus secrète mémoire des hommes, Mohamed Mbougar Sarr

Mohamed Mbougar Sarr signe un roman complexe, à la fois fresque historique, voyage intellectuel et physique, histoire d’amour impossible, réflexion sur la colonisation, sur les relations entre Noirs et Blancs depuis le début du XXème siècle, de la Grande Guerre à l’exil, des flux migratoires à la Shoah, réflexion politique, plongée dans les croyances sénégalaises, dans la littérature d’ici et d’ailleurs, quête inlassable et vaine. La plus secrète mémoire des hommes est avant tout un grand roman métafictionnel, analyse brillante de l’écriture, du processus autant que de l’impact produit, de l’origine des mots à leur cible.

Diégane est Sénégalais, comme Mohamed Mbougar Sarr. Il habite à Paris, erre dans les rues, les cafés, chez ses amis après avoir signé un premier roman décevant, né d’un cœur brisé. Finalement, il vit l’épiphanie d’une existence en découvrant Le labyrinthe de l’inhumain, livre disparu, introuvable désormais puisque tout exemplaire a été détruit quelques années à peine après sa parution en 1938. À lui seul, ce titre semble embrasser toute l’histoire des lettres et les questions qui s’y réfèrent depuis la nuit des temps. Entre influence, plagiat, matière originale – mais existe-t-elle seulement ? –, entre mythes d’hier, magie sombre et mystère, ce que contient ce manuscrit est d’une noirceur sans nom qui dit l’humanité ou plutôt la bestialité humaine, imprégné d’une telle douleur et d’une telle tristesse que ses lecteurs n’en sortent pas indemnes, jamais, même après des dizaines de relectures. Diégane part sur les traces du très secret auteur de cette révolution de papier, Elimane, fantôme qui hante la mémoire des hommes et des femmes qu’il a croisés au cours de sa longue vie. Pour créer cette ombre planant sur tout le roman, Mohamed Mbougar Sarr s’est inspiré de Yambo Ouologuem, un écrivain malien tombé dans l’oubli pour cause de plagiat après avoir reçu le Renaudot – premier écrivain africain de langue française a être récompensé par ce prix.

Ce roman est instable, véritable exercice de style qui multiplie les voix narratives et les mises en abyme – récit d’un récit d’un récit –, les mêle étroitement, comme manière de recréer l’histoire de la littérature, entre invention et copie, répétition et témérité, nouvelles plumes se superposant aux anciennes, palimpseste infini. Pourtant, c’est un livre qui se dévore, se lit comme une enquête d’une grande richesse qui ne laisserait de côté aucune des facettes de notre humanité. L’auteur parvient à écrire tant les choses de l’esprit que les choses du corps, se délectant des sensations de ses narrateurs autant que de leurs débats et quêtes identitaires, en tant qu’Hommes et en tant qu’écrivains. Certains pans de cet ample roman restent dans l’ombre, effleurés, puis palpés avant d’être finalement abandonnés, comme une errance au pays des phrases, entre France, Sénégal et Argentine, entre 1915 et 2018. Il serait malgré tout malvenu d’en vouloir à Mohamed Mbougar Sarr tant son intelligence littéraire permet à La plus secrète mémoire des hommes de briller d’un éclat rare, d’une lueur d’audace pleine de verve, de répartie, livre hybride qui se renouvellerait de lui-même, plein d’embranchements sans fin.

Ce roman était en lice pour le Prix Femina, Renaudot et Médicis. Il est le lauréat du Prix Transfuge du meilleur roman de langue française et du Goncourt 2021.

Mohamed Mbougar Sarr – La plus secrète mémoire des hommes
Philippe Rey
19 août 2021 (rentrée littéraire 2021)
448 pages
22 euros

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24 réflexions sur “La plus secrète mémoire des hommes, Mohamed Mbougar Sarr

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  7. Bonjour Ceciloule-Pamolico, ce roman lauréat du prix Goncourt m’intrigue. Je n’en n’avais pas entendu parler. Il a l’air prenant. Je tenterai peut-être sa lecture. Merci pour le conseil. Sinon, c’est bien qu’un écrivain africain pas connu soit récompensé. Ca nous change des roman « germanopratins ». Bonne journée.

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    1. Bonjour Dasola,
      C’est un roman palpitant à tout égard, d’une rare richesse mais étonnamment entraînant malgré son érudition.
      Je suis d’accord, outre les indéniables qualités de ce livre, c’est une très bonne chose que Mohamed Mbougar Sarr soit le lauréat, si jeune et sénégalais.
      Merci de votre passage et bon dimanche.

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    1. Merci beaucoup !
      Pas de métaphysique ici mais de la métafiction, donc disons pour simplifier que c’est un roman sur les romans 😉 c’est un livre lumineusement complexe, pluriel et vraiment brillant. Je ne serais pas étonnée qu’il rafle de nombreux prix : ce serait amplement mérité !
      Bon week-end à toi aussi Fred 😊

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    1. Merci beaucoup, c’est très gentil ! Comme je le disais à Louise, les changements narratifs et les imbrications des récits à la première personne peuvent être déconcertants mais la multitude des sujets abordés et des « matériaux » utilisés rend ce roman très riche et passionnant à tout point de vue. Bonne lecture !

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