S’il n’en reste qu’une, Patrice Franceschi

Rachel Casanova, journaliste australienne, part pour le Rojava, pays kurde au cœur de la minisérie No man’s land. Ce voyage la mènera ensuite au Kurdistan Irakien puis en Turquie, sur les traces des Yapajas, combattantes qui luttent contre Daech tout en se cachant des forces d’Erdogan qui leur sont hostiles. En visitant un cimetière détruit, Rachel s’arrête devant une tombe double où sont enterrées Tékochine et Gulistan, « sœurs d’armes », sœurs jusque dans la mort. Elle décide ainsi que ce sera là le point de départ de son enquête qui deviendra un livre, n’ayant désormais de cesse de comprendre la manière dont ont été tuées les deux femmes si braves, prêtes à tout pour la victoire de la liberté, ce pourquoi elles reposent ensemble dans le même caveau – « S’il en demeure dix, je serai le dixième, / Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là » écrivait Victor Hugo dans son poème « Ultime Verba ».

Patrice Franceschi signe un roman discontinu où ce sont les entrevues de Rachel avec les différentes figures d’autorité de la résistance armée qui permettent de comprendre peu à peu le destin hors-norme de Tékochine et de Gulistan, sa protégée finalement devenue sa protectrice, Yézidie rescapée d’un village massacré par les islamistes. Cette construction rend l’ensemble très impersonnel et haché, ne permet pas de relier les différentes batailles les unes aux autres, d’avoir une véritable idée de qui étaient ces deux femmes ayant existé d’une manière ou d’une autre, d’après l’auteur. Parcellaire, le récit de la vie des deux combattantes manque de corps, d’émotions – alors qu’il aurait aisément pu en provoquer tant elles se démarquent par leur héroïsme. En outre, les dialogues qui livrent quelques bribes d’informations, ici et là, ne sonnent pas très justes. Ce n’est que dans le dernier tiers de S’il n’en reste qu’une que l’ensemble prend davantage de matière, devient plus vibrant, presque vrai. Cela vaut également pour Rachel, la narratrice : elle n’est pas sympathique au lecteur, stéréotype de l’Occidentale ignorante mais curieuse, touriste au sein d’un peuple qui a connu les pires misères de l’Humanité. Dans la troisième partie seulement, elle acquiert un rôle moins passif, ce qui la rend moins niaise.

Ceci dit, peut-être est-ce le moyen que Patrice Franceschi, aventurier, militaire et connaisseur de cette région du monde et de ce(s) conflit(s), a trouvé pour ne pas importuner les Kurdes, pour respecter leur pudeur. Toujours est-il que, ainsi, S’il n’en reste qu’une échoue à emporter tout à fait dans le quotidien de Tékochine et Gulistan, restant un aperçu tronqué de leur existence tragique et romanesque.

Ce roman fait partie de la première sélection du Goncourt 2021.

Merci aux éditions Grasset et à NetGalley pour cette lecture.
La photographie des combattants kurdes provient de cet article du Progrès.

Patrice Franceschi – S’il n’en reste qu’une
Grasset
25 août 2021 (rentrée littéraire 2021)
240 pages
19,50 euros

Ils/elles en parlent aussi : Vagabondage autour de soi. Les Carpenters racontent. Ma toute petite culture

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11 réflexions sur “S’il n’en reste qu’une, Patrice Franceschi

  1. Merci pour le lien. En te relisant, je pense que tu as sans doute raison. Il y a de la pudeur dans la communauté Kurde , difficile à rendre compte. Elle semble faire partie de leur quotidien. De plus, ayant subi et subissant encore, les persécutions turques et autres, ils ont appris à vivre cacher. Ce mystère, cette pudeur, sont présents dans les films, les livres qui les racontent…

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