Fantômes comme ceux des soldats tués pour leur pays, comme les fantômes des villageois Vietnamiens morts dans la forêt, comme les Phantoms qui déversaient napalm, feu et fureur sur la jungle asiatique, comme les fantômes qui reviennent hanter les rêves éveillés de John Frazier, silhouettes spectrales aux traits brouillés, yeux bridés et sourire flouté par les larmes. En 1969, le jeune homme revient tout juste de la Guerre du Vietnam, vétéran à l’esprit cabossé par l’horreur qui trouve refuge chez sa grand-mère, à Placer County. Un peu malgré lui, il se retrouve ensuite pris dans le tourbillon de l’Histoire, à enquêter sur ces Japonais, résidents américains depuis des décennies, soudainement chassés de leur maison, parqués à Tule Lake et ailleurs parce qu’ils avaient le malheur de partager la culture de ceux qui avaient bombardé la base militaire de Pearl Harbor. Il mêle ses propres vicissitudes embrumées par le brouillard de rêve chimique où il erre pour oublier et vivre avec ces fantômes à l’histoire de Ray Takahashi et des siens.
Parcouru de rayons de soleil obliques d’un bout à l’autre, ce roman de Christian Kiefer se pare d’une douce ambre amère qui vient ourler d’or les fleurs des arbres du verger embrassant l’ancienne maison louée par les Takahashi aux Wilson. Vingt-sept ans après leur départ forcé, John Frazier erre dans les souvenirs de ces deux familles, tente d’honorer la mémoire de Ray, jeune et amoureux, humble et fier tout à la fois. Il livre des bribes de ce qu’il imagine être la vie de Kimiko, sa mère, puis des éclats de celle du fils prodigue disparu, reconstitue des souvenirs à partir de fragments d’informations, et ces récits qu’il a supposément écrits sont indéniablement les plus belles pages de ce roman. Elles se font presque trop rares, perdues parmi les errances du narrateur, ses regrets et ses remords, sa lutte pour arracher ces quelques morceaux d’hommage. Empreintes d’une vérité sentimentale vibrante et d’une lumière qui teinte d’un romantisme poudré les moments les plus doux et les plus frémissants, ces passages illuminent Fantômes, lui confèrent toute sa justesse.
Christian Kiefer offre un écrin à ces oubliés de l’Histoire, vétérans du combat d’ailleurs et d’ici, confrontés à l’intransigeance et à la violence du rejet d’un peuple. Lumineux et blême, Fantômes éclaire une nuit sombre pour la rappeler à nous.
Merci aux éditions Albin Michel qui en contribuant à enrichir aVoir aLire ont contribué à enrichir Pamolico.
Christian Kiefer – Fantômes
[Phantoms – traduit par Marina Boraso]
Albin Michel
3 mars 2021
288 pages
22,90 euros
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Quelle belle chronique! Un livre marquant.
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Merci ! Oui, il m’a touchée moi aussi.
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Une très belle chronique sur un roman qui m’a beaucoup plu. La qualité de l’écriture, cette histoire avec ses secrets de famille, la guerre, une page méconnue de la Seconde guerre mondiale, autant d’éléments qui m’ont séduits. Je suis heureux que nous ayons eu un coup de cœur commun 😉😊
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Merci, j’ai beaucoup aimé la tienne !
Heureuse également de cette jolie découverte partagée 🙂
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je redoute un peu la violence (le napalm et la persécution sur le sol américain mais je pense que je le lirai quand même…
Je bloque un peu sur les romans qui parlent de la guerre au Vietnam ou la guerre d’Algérie… Mais cela viendra 🙂
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Franchement c’est davantage une violence émotionnelle qu’autre chose. Christian Kiefer a su rendre hommage à ces oubliés de l’Histoire avec beaucoup de finesse et de douceur. Si c’était ton seul frein, n’hésite pas 😉
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Je viens de le le finir et j’ai beaucoup aimé la rondeur et la fluidité de la narration.
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Tout à fait, c’est joliment dit ! La manière dont l’auteur écrit la lumière m’a particulièrement touchée également 🙂
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A reblogué ceci sur Le Bien-Etre au bout des Doigts.
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