Des années 1930 à la fin des années 1950, Les mangeurs de nuit court ou plutôt saute d’une période à l’autre, toutes unies par les héros que l’on voit à différents âges de leur vie. Jack, un creekwalker, remonte les rivières de Colombie Britannique sur son canoë avec ses deux chiens fidèles pour compter les saumons, Pete Fromm d’une autre époque, hanté par le destin tragique de son petit frère au sang amérindien et par les contes gitga’ats de sa mère adoptive, lesquels ont bercé son enfance. C’est un « Indien blanc », un homme qui entend la forêt respirer, sent battre l’écorce d’une vie primale et sacrée. Hannah, elle, est une Nisei, une fille d’émigrés japonais persécutés en Amérique du Nord, encore davantage après l’attaque de Pearl Harbor. Sa mère, Aika, est partie du Japon, adolescente pleine d’espoirs bientôt déçus, picture bride leurrée par des promesses de papier qui ne tarde pas à être confrontée au racisme, à la douleur, à la lassitude d’une existence qu’elle n’aime pas, à l’aigreur d’une jeunesse dont elle est privée, puis à l’internement que Christian Kiefer évoquait lui aussi dans Fantômes. Hannah grandit de page en page, adulte puis enfant alors que les époques se mêlent, la vie de Jack se déroulant en parallèle de la sienne. Les légendes amérindiennes font ainsi écho aux mythes japonais, imprégnés d’une magie qui rappelle le monde de Miyazaki, ce microcosme veillé par les mangeurs de nuit – lucioles avalant l’obscurité pour la transformer en lumière.
Marie Charrel écrit différemment la nature et les hommes, ses mots semblant muter tandis qu’elle évoque l’une ou les autres. La neige, le ciel, les arbres, les montagnes bruissent sous sa plume, s’éveillent et s’ébrouent lentement en toile de fond du destin de ses protagonistes et des épreuves qu’ils traversent, Amérindiens persécutés, Japonais maltraités. S’ils sont touchants et humains, farouches mais le cœur gros autant qu’empli d’amour, ils manquent peut-être de poésie, de cette beauté métaphorique qui voile chaque élément du décor où ils évoluent, parant les animaux et les végétaux d’une aura sibylline – sans doute souffrent-ils trop pour qu’une telle beauté enfle vraiment en eux et s’en dégage. Ils recèlent malgré tout de secrets qui se révèlent lentement, délicatement saupoudrés sur le papier tandis que les alternances de temporalités permettent à l’autrice de laisser infuser leurs mystères et aux protagonistes de prendre de l’épaisseur.
Dans le même esprit : Eden de Monica Sabolo
Marie Charrel – Les mangeurs de nuit
Éditions de l’Observatoire
4 janvier 2023 (rentrée littéraire d’hiver 2023)
295 pages
21 euros
Ils/elles en parlent aussi : Un monde à lire. Le petit caillou dans la chaussure. Ma passion les livres. The unamed bookshelf. Les livres de K79. Mare Nostrum. Aire(s) libre(s). Ma collection de livres. D’autres vies que la mienne. Baz’art. Joellebooks
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Je viens de le finir !! Je mets ton billet en lien !
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Merci ! Je vais te lire et je vais faire pareil !
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