Ava est aussi affamée qu’Edie dans le roman éponyme de Raven Leilani. Elle a faim d’attention, de passion, de reconnaissance, de cadeaux. Expatriée irlandaise à Hong Kong, elle travaille en tant que professeure d’anglais dans un institut TEFL, entourée d’Australiens, d’Américains et d’Anglais. Son accent détonne, les règles de grammaire anglaise qu’elle est censée enseigner aux enfants la laissent perplexe et n’ont jamais régi sa propre parole débridée. Enfin, elle a beau aimer l’argent, elle est étonnamment communiste, au moins socialiste, ce qui donne lieu à des échanges animés et pleins de cynisme avec Julian, son colocataire – et plus si affinité. Banquier londonien, il court toujours, vit sans prendre son temps, à la poursuite de billets matériels et imaginaires dont il inonde le monde d’Ava. Ici et là, comme toile de fond brillamment esquissée par Naoise Dolan, quelques traits d’esprit sur l’ingérence chinoise depuis la rétrocession de l’île, des allusions au Brexit et au clivage qu’il a entraîné dans la société britannique.
Aux prises avec ses sentiments, oscillant entre rien de sérieux et soif d’amour, Ava bataille, évite les soirées avec les amis BCBG de Julian qui l’exaspèrent – elle a suffisamment à faire avec lui –, habite son appartement au-dessus des nuages, présence féminine dans l’antre du banquier, colocataire d’existence. Et puis la vie d’Edith percute celle d’Ava – explosion de couleurs en elle, de sensations et d’émois contradictoires. Si Rien de sérieux est comparé à Normal People de Sally Rooney pour cette différence de classe sociale entre les deux protagonistes enamourés – mais pas vraiment –, pour le jeu de chat qui s’instaure lentement entre eux, et pour la nationalité de l’auteure, le roman de Naoise Dolan est imprégné d’une ironie savoureuse qui fait cruellement défaut à l’œuvre de sa compatriote – en cela, elle se rapproche bien davantage d’Aisling Bea et de sa sitcom This Way Up. La narration à la première personne crée ici une complicité entre le lecteur et Ava, bien loin de la froideur des personnages de Sally Rooney. Les dialogues sont d’une pertinence piquante, amusée et désabusée, à l’image de l’héroïne, pleine d’une morgue complexée et diablement attachante. Satire sociale jouissive et instantané de la vie d’une milléniale, entre raison et sentiments, entre la norme et l’instinct, ce livre est une jolie réussite qui a du cœur et du cran.
Un grand merci aux Presses de la cité et à NetGalley pour cette lecture.
Rien de sérieux – Naoise Dolan
[Exciting Times – traduit par Nathalie Peronny]
Presses de la cité
18 mars 2021
304 pages
21 euros
Ils/elles en parlent aussi : Lettres d’Irlande et d’ailleurs
Ping : 10 romans à lire en cet été 2021 – Pamolico – critiques romans, cinéma, séries
pourquoi pas? une balade en littérature irlandaise cela pourrait être sympathique 🙂
J’aimeAimé par 1 personne
Surtout qu’elle se double d’une balade à Hong Kong 😉
J’aimeAimé par 1 personne
Oh, chic, une nouvelle auteure irlandaise ! Merci pour la découverte, tu fais ma journée ! Ca a l’air bien sympathique en plus 🙂
J’aimeAimé par 1 personne
De rien, c’est un délice irish 😉
J’aimeAimé par 1 personne
Ton article nous emmène dans la vie de ces collocataires et donne envie de mieux les découvrir.
Merci.
J’aimeAimé par 1 personne
Par contre, Naoise, comment cela se prononce-t-il ?
J’aimeAimé par 1 personne
Avec plaisir. J’ai vraiment passé un bon moment !
Cela se prononce Nisha 🙂
J’aimeAimé par 1 personne
Ah oui ! Rien à voir. C’est un peu comme Sean ou Saoirse.
J’aimeAimé par 1 personne
Exactement !
J’aimeAimé par 1 personne
A reblogué ceci sur Le Bien-Etre au bout des Doigts.
J’aimeJ’aime