Le grand secours, Thomas B. Reverdy

Thomas B. Reverdy s’invite dans un lycée de Bondy, en Seine St Denis, s’y faufile dans la peau de Paul, un écrivain, un poète qui lui ressemble, déjà apparu comme une ombre amicale dans sa trilogie autobiographique, un prof néophyte. Ce héros permet au lecteur de découvrir les lieux d’un regard neuf, pas encore voilé par l’habitude – pourtant l’auteur est lui-même prof depuis vingt ans, à Bondy. Sa voix rejoint ainsi celle de Mo, de Sara, de Candice, encore une, qui rit rouge elle aussi, pour raconter le béton et les cours, les cris et les rires, la peur, la lassitude et le courage en bagage. Le décor est un personnage à part entière, comme toujours dans les romans de l’auteur qui bâtit ses récits autour d’eux, autour d’une ambiance qui se dégage de buildings éventrés ou de plages sans fin.

En deux-cent quarante pages, comme s’il en accordait dix à chaque heure, l’auteur relate une journée presque banale entre les murs, les analyses textuelles des cours de français, les plaintes de la salle des profs, les cœurs brisés de l’adolescence. Huis-clos étouffant malgré l’azur infini et le vol des oiseaux, Le grand secours respecte les trois unités – de lieux, de temps, d’action – des pièces que Candice fait jouer à ses élèves, ce qui contribue à l’atmosphère de ce roman choral. Celui-ci pulse d’une poésie urbaine qui chatoie sur le gris du sol, reflet du ciel trop grand de Bondy, immense même, dans lequel se perdent les pigeons et des mouettes égarées, mais aussi les rêves. Il est plus bleu qu’à Detroit, ville que les phrases de l’écrivain ont déjà visitée, mais c’est le même puits insondable. Les jeunes ont là-bas aussi une attitude farouche et une peur au ventre qui se confond avec de la bravoure.

Les livres, les auteurs d’hier et d’aujourd’hui s’invitent entre les lignes, références effleurées. La langue aussi précise que familière, étoilée d’un langage de cité autant que de mots empruntés aux vers, rend ainsi discrètement hommage. Le grand secours, ce pourrait donc être la poésie comme manière de percevoir et d’embellir la vie, mais ce sont aussi ces vannes qui libèrent le déluge de Noé sur la salle polyvalente en cas d’incendie, une catastrophe comme sauvetage.

Thomas B. Reverdy signe un livre que certains qualifieront de social, de politique, d’autres, d’hommage à l’art – les mots pour libérer, pour dire sans dire, pour avancer, pour unir. Des profs s’identifieront sans doute à ceux qui se battent dans ce Bondy vrai mais inventé ; les élèves reconnaîtront ceux qui ont peuplé leur jeunesse, des silhouettes lasses mais toujours là.

Thomas B. Reverdy – Le grand secours
Flammarion
23 août 2023 (rentrée littéraire d’automne 2023)
320 pages
21,50 euros

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21 réflexions sur “Le grand secours, Thomas B. Reverdy

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  3. Anonyme

    La vie à Bondy ressemble bien à cette journée particulière, seulement l’écrivain y mêle une telle poésie que son écriture éclaire et magnifie pour devenir une ode au milieu enseignant qui a encore plus de portée en ces jours sombres !

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  4. Maximelefoudulivre

    Bonjour Ceciloule,
    Merci pour la critique.
    Je n’ai pas vraiment aimé.
    C’est bien écrit (c’est un super écrivain) mais je trouve l’histoire un peu clichée. Ce n’est pas toujours comme cela la vie à Bondy (je pense, j’espère) et pourtant nous avons l’impression que c’est une journée comme une autre.
    Certes il soulève un évènement qui peut se produire (et c’est d’actualité) mais je trouve qu’on réduit Bondy uniquement à cette manifestation relatée dans ce livre. Cela est accentué par le fait que le livre se déroule sur une et une seule journée. Malheureusement, une journée particulière où absolument rien ne va.
    J’aurais aimé qu’il y ait un peu plus de nuance et de recul (peut être sur une semaine ?) mais je ne suis pas écrivain, peut être que je n’ai pas compris l’effet recherché.
    Bonne journée
    A bientôt

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    1. Je ne suis pas sûre qu’il présente une journée comme une autre, je pense simplement qu’il a voulu coller aux règles théâtrales qui imposent que l’action se déroule en une journée, sans doute comme une manière de faire écho aux pièces qu’il cite et que Candice fait jouer à ses élèves. Ceci dit, je vois ce que tu veux dire et le manque de nuances dont tu parles.

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