Arène, Négar Djavadi

Les banlieues ne sont pas les seuls foyers de violence, elle se concentre aussi dans le cœur de la capitale. Est parisien. Un meurtre est commis – représailles. De ce prélude, se tisse une toile fantomatique dans laquelle Négar Djavadi piège le lecteur autant que les personnages. La ville est le théâtre des événements mais aussi une protagoniste à part entière, arène où se confrontent les ambitions, où se heurtent les existences, où se brisent des destins. S’y croisent Benjamin Grossmann, riche salarié de BeCurrent, Netflix fictive, Sam, flic d’origine strasbourgeoise et, plus lointainement, turque, Stéphane Jahadi, opportuniste et musulman, prompte à se saisir de n’importe quel prétexte pour ériger son piédestal, Liu, livreur chinois, Cam mais aussi Djam, Cathie, et les autres. Tous gravitent autour d’un même accident, leurs pensées s’étirant sur la page. L’auteure bâtit sa fiction grâce au discours indirect libre, ce qui donne une puissance certaine à son propos et lui permet d’embrasser toutes les perspectives. Après son premier livre très intimiste et personnel sur ses souvenirs de l’Iran de son enfance, elle s’attache à dépeindre la ville où elle vit désormais, débarrassée du fard et des paillettes, du faste et de la magie. Paris, c’est aussi la précarité, les quartiers regardés de haut avant de ne plus l’être du tout, la grisaille, le danger, le syncrétisme culturel qui a échoué. Un rien et tout peut s’embraser.

D’aucuns songeront aux Misérables de Ladj Li, à ces confrontations entre jeunes déterminés et policiers farouches – sans prendre parti, jamais. D’autres auront en tête les œuvres de Karine Tuil, la maîtrise des focalisations, du rythme changeant des phrases. Enfin, certains penseront à Vernon Subutex et à cette galerie de protagonistes, tableau de la société, auxquels Virginie Despentes donne une voix, une consistance. Cela s’allie à une écriture visuelle, imprégnée des défis et caractéristiques de notre ère.

Négar Djavadi prend soin de ne pas se positionner, de rester neutre : elle présente des faits – inventés – et crée un impressionnant univers narratif, fait d’échos et de résonances, de ponts et de gouffres, de chocs et d’irrémédiable. Elle cite séries et films, imaginaires ou réels, des livres, des acteurs et des politiques. Semblable à un cœur qui irrigue tous les membres du corps, Arène pulse, de plus en plus rapidement, systole, diastole, encore et encore. L’orchestre s’emballe, les personnages-instruments se répondent, pris dans l’engrenage. Avec une rare adresse, cette femme de lettres également scénariste et réalisatrice donne naissance à un roman choral qui ne laisse rien au hasard et peint une fresque bien sombre de notre monde de l’immédiateté et des fake news, du toujours plus vite et toujours plus neuf.  

Merci au magazine Elle et aux éditions Liana Levi pour ce livre, lu dans le cadre du Grand Prix des Lectrices (note GPL : 19/20)

Négar Djavadi – Arène
Liana Levi
20 août 2020
432 pages
22 euros

Ils/elles en parlent aussi : Genz. Le blog de Barb. Les Carpenters racontent. Les mots des autres. Pascale Marchal. Les yeux dans les livres. Au vent des mots. Liseuses de Bordeaux. In the Mood for. Cannibales lecteurs. Sur la route de Jostein. Charybde 27. Quatre sans quatre. Mot à mots

11 réflexions sur “Arène, Négar Djavadi

  1. pas trop tentée, en plus j’ai déjà son précédent livre « Désorientale » en pense-bête depuis pas mal de temps
    déjà j’ai du mal à venir à bout de ceux qui sont dans la rubrique « à lire » sur Babelio alors les « pense bête » ont du souci à se faire 🙂

    Aimé par 1 personne

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