La sentence, Louise Erdrich

Les mots de Louise Erdrich manquent leur cible, échouent à véhiculer de véritables émotions, s’éloignent de toute vraisemblance dans ce roman patchwork parfois criard. L’autrice amérindienne multi-primée aux romans habituellement sensibles et évocateurs crée une héroïne à la voix gouailleuse, au lourd passé survolé. Cette narratrice travaille dans une librairie après des années d’emprisonnement – elle a désormais purgé sa peine, mais les morts n’en ont pas fini avec elle. Celle qui a été condamnée pour recel de cadavre est bientôt visitée par une cliente décédée peu auparavant, son fantôme hantant les rayonnages, malmenant les ouvrages ainsi que Tookie, qui craint pour sa santé mentale, sans que rien dans son quotidien ne se détache – jour après jour, des titres à recommander, encore et encore, litanie à avaler, jusqu’à mai 2020.

L’écrivaine semble transformer en farce à la fois trop légère et indigeste tout ce qu’elle raconte dans la première moitié de La sentence, faire de ses personnages des caricatures d’eux-mêmes, des caractères trop marqués et extravertis pour dégager une certaine justesse, liés par des relations qui n’ont rien de profond. Les cultures amérindiennes sont une nouvelle fois au cœur de ce roman, mais elles paraissent presque tournées en dérision par moments, comme tordues par ces Blancs qui viennent tourmenter les jeunes libraires, fiers de ce qu’ils pensent être un intérêt certain pour les peuples premiers alors qu’il ne s’agit en réalité que d’un racisme à peine voilé. Dans d’autres passages, la fulgurance de Louise Erdrich apparaît brièvement, dans l’évocation d’un crépuscule ou du chant des oiseaux, à nouveau balayée par la frustre Tookie. Derrière ses frasques et son ton se cache pourtant une métaphore évoquant la puissance des mots, entremêlée aux légendes amérindiennes et à un certain réalisme magique – ce mariage aurait pu être fantastique, mais il se révèle simplement maladroit.

Loin des personnages pleins de cœur de Celui qui veille, de la quête courageuse de Cedar, mère de l’enfant de la prochaine aurore, ceux qui peuplent La sentence sont truculents et décalés, presque détachés de la dure réalité qu’évoque pourtant l’autrice. Après les deux cents premières pages, la pandémie frappe le Minneapolis, puis George Floyd meurt asphyxié – dans le récit de ces événements si récents, Louise Erdrich fait preuve de la sensibilité qui manque au reste du texte, la distance entre les protagonistes et leur environnement allant ainsi grandissant malgré leur implication dans « l’après ». Pourtant, rien n’accroche réellement le regard du lecteur, tout est lisse, sans relief, aplani par ces bons mots et ces expressions trop familières qui sont le tissu de ce livre. Ce serait trop facile de jeter la pierre à Sarah Gurcel, la traductrice, qui s’est déjà brillamment acquittée du précédent roman de Louise Erdrich et de Lorsque le dernier arbre de Michael Christie. Peut-être que, tout simplement, l’autrice a failli – je le crains, quoiqu’en disent certaines critiques dithyrambiques.

Merci aux éditions Albin Michel pour cette lecture.

Crédits photo : la photographie de Louise Erdrich en arrière plan a été prise par Jenn Ackermann et publiée dans Télérama

Louise Erdrich – La sentence
Albin Michel (Terres d’Amérique)
6 septembre 2023 (rentrée littéraire d’automne 2023)
448 pages
23,90 euros

Ils/ elles en parlent aussi : Charlotte Parlotte. Carolivre. Le nocher des livres. De l’autre côté des livres. Sur la route de Jostein. Valmivoyou lit. Lire et vous. Fragments de lecture. Les petites lectures de Maud. Christlbouquine. Patricia. La livrophage. Nyctalopes. Le bouquineur. Kimamori. Tu l’as lu ?

16 réflexions sur “La sentence, Louise Erdrich

  1. Ping : La Sentence, Louise ERDRICH – Le nocher des livres

  2. Je suis une fan de l’autrice, mais j’attendais quelques avis de confiance pour passer par la case « achat ». D’ailleurs, j’ai lu les derniers en poche ou empruntés en médiathèque, non qu’ils m’aient déçue, au contraire, mais je ne peux pas tout acheter.
    En tout cas, merci de ton avis qui permet de se faire une idée sans se précipiter ! (mais dommage pour toi)

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    1. Merci à toi de me compter parmi les avis de confiance !
      Effectivement, on manque de place, le problème se pose tôt ou tard et plus ou moins régulièrement ensuite… je ne t’aurais de toute façon pas conseillé d’ajouter ce titre sur tes étagères, tu l’auras compris 😉

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  3. Je suis une vieille lectrice de cette autrice et j’ai rarement été déçue mais je n’ai pas été tentée par celui-ci. Je l’ai feuilleté et dès les premières pages, il y a un décalage avec sa tonalité habituelle, que tu confirmes … Dans le silence du vent est superbe, de même que La malédiction des colombes où les cultures amérindiennes sont au centre de l’écriture. La chorale des maîtres boucher est génial, mais est centré sur une autre communauté.

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    1. Je note les titres dont tu parles, pour me réconcilier avec elle… les deux précédents m’avaient plu, j’avais même frôlé le coup de cœur pour Celui qui veille.
      Tu me rassures à ne pas avoir été tenté malgré ton amour pour elle : je me sens très seule dans cette marée d’avis positifs et j’avoue que ça me laisse perplexe.

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