Celui qui veille, Louise Erdrich

Avec Celui qui veille, Louise Erdrich rend un hommage mélodieux et vibrant à son grand-père ainsi qu’aux Indiens Chippewas de Turtle Mountain, si justement traduit par Sarah Gurcel. En 1953, le sénateur Watkins ainsi que d’autres portent la Résolution 108, projet de loi visant à « terminer » cette tribu – assimilation, suspension des aides financières, expulsion de leurs terres. Thomas Wazhashk, du nom du rat musqué, celui qui veille, est président du conseil tribal. En tant que tel, il réunit ses troupes pour lutter. Autour de lui, les visages dansent, flottent dans les bois, dans l’air glacé, sur la neige blanche, sur l’eau. Les silhouettes des vivants ondulent, celles des morts planent, lumières mordorées embrasant la nuit de l’usine où Thomas enchaîne les rondes. Le jour, les ouvrières indiennes travaillent sur des pierres d’horlogerie, se brûlant les yeux, ses grippant les mains, s’ankylosant le dos. Patrice, l’une des plus véloces, se secoue pour se défaire de son surnom de lutin, dû à ses yeux en amande elfique et à sa petite taille agile. Elle fait battre le cœur de nombre d’hommes, le professeur de mathématiques, entraîneur de boxe à ses heures perdues, seul Blanc sur la réserve, n’étant pas le seul envoûté par la jeune femme qui a charmé tous les environs. La mère de Patrice est le réceptacle de la sagesse chippewa, tout comme son cousin qui convoque les esprits, tout comme Thomas qui protège son peuple. Elle prépare remèdes et onguents pour soigner les maux que les ancêtres et les cieux leur soumettent, enveloppant son fils et ses deux filles de ses savoirs et de sa bienveillance. Cependant, sa magie ancestrale n’a pas suffi à protéger la sœur de Patrice, Vera, qui a disparu, s’est dissoute dans la grande ville, sûrement victime d’un trafic quelconque et des hommes, si souvent malveillants, cupides, prompts à se laisser dévorer par leurs désirs et leurs instincts primaux, embrasés par leur concupiscence et rongés par l’alcool.

Chacun avance à sa manière, porté par le vent, par le courant. Les quêtes s’entremêlent, familiales, identitaires, politiques, entre nature et bas quartiers, cabanes frêles, enfumées et bars sombres en sous-sol. L’âme en harmonie avec les arbres et les animaux qui errent dans les parages, les multiples héros de ce roman polyphonique lauréat du Pulitzer teintent chacun le récit d’un éclat différent, le parent de mille et une nuances et facettes. Celui qui veille est ainsi lumineux, parfois (rarement) maladroit dans sa facilité subite qui ne dure pas, renfermant toute la beauté des croyances animistes amérindiennes. Contrairement à nombre d’hommages, c’est une ode à ceux qui vivent, qui se battent pour être qui ils sont.

Un grand merci aux éditions Albin Michel (Terres d’Amérique) pour cette lecture.

Louise Erdrich – Celui qui veille
[The Night Watchman – traduit par Sarah Gurcel]
Albin Michel (Terres d’Amérique)
5 janvier 2022 (rentrée littéraire d’hiver 2022)
560 pages
24 euros

Ils/elles en parlent aussi : Croissants de livres. Le dit des mots. Pérégrinations. Petite plume. Dealer de lignes. La culture dans tous ses états. Au fil des livres. Mélie et les livres. Les petites lectures de Maud. Good books, good friends. Mademoiselle Maeve. Roseleen. Les petites lectures de Maud. Calliopé. Le jardin de Natiora. Le blog de Krol. Les livres d’Ève

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16 réflexions sur “Celui qui veille, Louise Erdrich

  1. Je partage totalement ton sentiment. Je viens de publier ma chronique et sur ce roman nous avons perçu des choses semblables. La fin est un peu expédié mais cela reste un très beau roman. Les premiers avis sur Babelio sont plus mitigés que nous. Une nouvelle belle critique de ta part. Mes meilleurs vœux Cécile pour cette année 2022, au plaisir de nos échanges ✨🙂

    Aimé par 2 personnes

    1. Je vais aller te lire alors ! Effectivement, peut-être que certains pans de l’histoire sont inachevés, mais tu verras, les personnages restent longtemps à nos côtés une fois le roman refermé. J’ai vu que les critiques Babelio n’étaient pas si positives, oui, et j’en suis étonnée…
      Merci Fred, une très belle année à toi et puisse-t-elle voir nos échanges continuer et s’enrichir encore ✨

      Aimé par 2 personnes

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