Mon crime, François Ozon

Librement adapté d’une pièce de théâtre de 1934, Mon crime n’a rien à envier à la Comédie Française – ni ses comédiens, ni leur jeu. Rebecca Marder, ancienne pensionnaire de cette même institution, joue en effet l’un des rôles principaux aux côtés de Nadia Tereszkiewicz, les deux protagonistes côtoyant aussi Fabrice Luchini, Isabelle Huppert et Dany Boon, entre autres grands noms. La première interprète Pauline, une avocate, tandis que la seconde devient Madeleine, comédienne, dans cette mise en abyme orchestrée par François Ozon. Les deux jeunes actrices doivent mentir et sonner justes dans une sorte d’antiphrase gentiment ironique : le réalisateur confie d’ailleurs que « Le cinéma parlant [lui] est toujours apparu comme l’art du mensonge par excellence », d’où l’envie de transposer une telle pièce à l’écran, entre hommage au théâtre et au septième art du siècle passé.

Les deux héroïnes sont sans le sou et ont des mois d’arriérés de loyer à couvrir, n’ont aucune proposition d’emploi et doivent donc attendre ou ruser pour survivre dans un monde où le deuxième sexe n’est pas encore désigné ainsi mais ne peut vraiment exister sans la présence d’un homme protecteur et bienfaiteur. Mon crime met en scène une revanche féminine et féministe fantasmée après le procès des sœurs Papin deux ans plus tôt tandis que nous sommes en 1935. Et si, pour attirer l’attention, mieux valait confesser un crime que plaider coupable ? Après avoir tenté de violer Madeleine, un célèbre producteur est retrouvé assassiné : la jolie ingénue avoue, poussée par son amie, colocataire et avocate. Le retentissement du procès ne pourra leur être que profitable et puis, après tout, il ne s’agissait que de légitime défense arguent-elles. Mais Madeleine est-elle véritablement la coupable ?

Loin des atmosphères pesantes signatures de certains longs-métrages de François Ozon, loin de l’amour fulgurant relaté dans Été 85, Mon crime est fantaisiste, farce simple mais paradoxalement subtile où quiproquos et manœuvres se relaient comme dans un bon vaudeville aux accents absurdes. Certains personnages grotesques et duos comiques rappellent la tradition théâtrale, de même que le grain de la pellicule, la lumière surannée, l’ancrage historique du film, ses décors et ses allusions ne sont pas sans évoquer l’histoire du cinéma et l’âge d’or d’Hollywood. Les hypothèses absurdes des juges et enquêteurs – Fabrice Luchini est ici d’un ridicule délicieux – deviennent de fait des scènes de muet d’un autre temps tandis que costumes et rues parisiennes revêtent leurs plus beaux atours d’avant-guerre. Pourtant, le scénario fait de ce long-métrage soigneusement désuet une œuvre moderne dans laquelle des femmes fortes prennent leur destin en main, de victimes devenant criminelles – ou opportunistes –, la jeune génération inspirant les plus âgées.

De : François Ozon
Avec : Nadia Tereszkiewicz, Rebecca Marder, Isabelle Huppert
Genre : Comédie dramatique
Durée : 1h42
En salles depuis le 8 mars 2023

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18 réflexions sur “Mon crime, François Ozon

  1. Ma-gni-fique critique de ce film. J’adore le « ridicule délicieux », voire précieux (encore eût-il fallu qu’elle le « reconnasse » – ça m’a fait mourir de rire) de Fabrice Luchini. Je ne connaissais pas cette citation de Ozon, elle est parfaitement éloquente. Théâtre et cinéma ici se prennent par la main comme rarement. Il y a du Resnais là-dedans, je n’aurai de cesse de le penser.
    A voir et revoir avec plaisir je crois.
    Merci pour cette lecture et bravo pour l’article.

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    1. Merci beaucoup ! J’ai manqué la tienne, alors je vais aller voir ça de ce pas.
      Je crois que ce sont les scènes où Fabrice Luchini apparaît qui m’ont le plus plu et où j’ai le plus ri.
      Je n’ai jamais vu de films de Resnais, honte à moi, alors je ne peux pas en juger… mais je crois l’avoir aussi lu ailleurs que chez toi.
      Tout à fait !
      Merci à toi, vraiment.

      Aimé par 1 personne

  2. Bonjour Céciloule !

    Merci pour cette belle présentation.
    J’ai adoré le film ! Ça faisait longtemps que j’avais pas vu une bonne comédie qui force pas les sketchs.
    Les acteurs sont géniaux avec une mention speciale pour Dany Boon qui joue bien avec l’accent marseillais.

    Je ne sais pas comment appeler cela mais je trouve le « surjeux  » en mode théâtral bien exécuté, les décors sont typiques des années 30.

    A bientôt!

    Bonne journée

    Aimé par 2 personnes

    1. C’est effectivement une bonne comédie française, un peu rétro mais moderne malgré tout. Dany Boon est loin d’être celui dont le jeu m’a le plus marquée, malgré l’accent marseillais. Je retiendrai plutôt Isabelle Huppert ou Fabrice Luchini.
      Merci de ton retour !

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