Joseph Incardona écrit cette fois encore une sorte de satire, pourtant peuplée de personnages attachants, étonnamment humains. Ainsi, l’auteur de La soustraction des possibles – ce monument de cynisme, cette critique acerbe et acérée de la société de consommation et de la victoire du capitalisme – n’abandonne pas son combat contre l’absurdité du monde, la course mercantile qui anime les hommes, ces corps solides habités, pour certains, d’une âme.
Avec Anna et Léo, il donne un nom, une personnalité et un cœur à ces victimes des idéologies et des régimes actuels. La mère et son fils vivent dans un mobil-home, tout proche de l’océan, des vagues, l’odeur du sel et l’air marin poisseux collant à leur peau d’amoureux des déferlantes. Tout pourrait être parfait si Anna n’avait pas perdu sa camionnette-rôtissoire dans un accident, si les dettes ne s’accumulaient pas, si les hommes étaient plus bienveillants, moins procéduriers et autolâtres, si le père était encore là. Joseph Incardona fait évoluer ces deux personnages, de la plage à la ville, l’esprit blessé par les chaînes qui entravent chaque humain du monde moderne, eux qui tentent de vivre à la marge, de laisser circuler une certaine liberté dans leurs veines – roman sociologique hésitant. Puis, le livre bascule et l’auteur les confronte à la caricature de ce même monde, imaginant un jeu télévisé stupide, quintessence de la télé-réalité actuelle. Orchestrée par « la Reine des abeilles » et par le « Roi Lion », ce concours donne l’occasion aux Français qui peinent de remporter une voiture valant 50 000 euros – une seule règle, la toucher, sans cesse, et être le dernier en contact avec la tôle. Se remarquent les chapitres portant des noms de bêtes puis de matières, la chair animale cramponnée à l’acier, au plastique, à l’aluminium, à tous ces corps solides, froids, sans vie et malgré tout sources de tant de convoitise, bases du système.
Par moments, la fulgurance du style incardonien fuse sur la page, bientôt réfrénée par la satire plus sage ici que dans La soustraction des possibles, par l’envie qu’a l’auteur de faire de ses protagonistes des « gens » véritables et attachants. Sa tendance à jouer avec le blanc de la page, à s’adresser à ses personnages en déité toute-puissante, à atomiser leurs espérances et leur vie en une phrase brève, chute létale, apparaît en filigrane, timidement, mais sans atteindre les sommets d’intelligence et d’irrévérence que dans son roman précédent.
Ainsi, si la critique fonctionne, il faut accepter de lire à la fois la banalité malchanceuse et l’absurde de notre monde, admettre l’improbabilité pourtant presque vraisemblable qui porte ce livre. À la manière de Réelle de Guillaume Sire, l’auteur s’appuie sur la télé-réalité pour dénoncer le système, sur les frontières entre vie réelle et scénarisée, quitte à agacer, à mettre en scène un jeu qui tire en longueur et empêche Joseph Incardona de jouer là où il est performant – en attaquant frontalement les puissants, en créant des anti-héros parfaits pour incarner ce qu’il dénonce.
Merci aux éditions Finitude qui en contribuant à enrichir aVoir aLire ont également contribué à enrichir Pamolico.
Crédits : l’illustration sur la photographie est issue de In Waves de AJ Dungo
Joseph Incardona – Les corps solides
Finitude
25 août 2022 (rentrée littéraire d’automne 2022)
272 pages
22 euros
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Je n’avais pas vraiment aimé La soustraction des possibles alors je passe mon tour !
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Les deux livres sont très différents ceci dit, mais celui-ci est moins réussi que La soustraction des possibles selon moi…
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C’est vrai que je n’en ai lu qu’un de lui, et si le souvenir est flou, je me souviens qu’il laissait secouer, pourquoi pas retenter l’expérience avec celui ci !
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Justement, ici, je trouve qu’il aurait pu secouer davantage… ses héros sont trop attachants pour que la satire prenne vraiment à mon sens.
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Oui je comprends tout à fait !
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j’ai beaucoup aimé son « derrière les panneaux, il y a des hommes » donc oui, pour celui-ci
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Je n’ai lu que La soustraction des possibles que j’ai adoré et celui-ci m’a beaucoup moins convaincue.
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