Les missionnaires, Phil Klay

Phil Klay, ancien Marine, raconte la guerre avec un « G » majuscule, toutes ces guerres qui ne peuvent être gagnées, missions succédant aux missions, victorieuses ou non sans que leur issue n’ait la moindre importance sur la lutte en son entier. Il navigue entre 1980 et 2016, entre l’Irak, l’Afghanistan et la Colombie, tissant lentement un motif alambiqué qui prend peu à peu sens alors que chaque fil trouve sa place et s’unit harmonieusement aux autres. Les missionnaires est un roman brutal et brillant, aussi sanglant qu’intelligent et complexe. L’auteur s’appuie sur ses connaissances et un travail de recherche minutieusement mené pour signer un livre ambitieux où l’absurdité des conflits mondiaux apparaît dans toute sa bêtise barbare, les missionnaires du bien civilisé aussi coupables que les « méchants ».

« […] elle aurait pu lui dire ce qu’elle se répétait. Qu’elle connaissait la Colombie, car elle connaissait l’Irak et l’Afghanistan. Que c’était l’extension d’une seule et même guerre, pas la guerre interminable contre la “terreur”, mais quelque chose de plus vague, difficile à déterminer, en relation avec les exigences d’un presque-mais-pas-tout-à-fait empire américain qui balançait sans cesse sa puissance militaire à travers la planète et ne faisait que déplacer les raisons du Pourquoi. » (page 341)

La voix d’Abel, Colombien dont les parents sont tués par des paramilitaires, est bientôt rejointe par celle de Lisette, une journaliste originaire de Pennsylvanie qui travaille en Afghanistan, puis par celle de Mason, un soldat des Forces Spéciales américaines, et enfin par celle de Juan Pablo, un gradé colombien. Les époques se brouillent et se font écho, l’inlassable répétition de l’histoire ainsi plus criante encore, rendant instables ces pages, mouvantes, lecture à la fois hachée et unifiée. Bientôt, la narration se fera omnisciente, prendra de la hauteur et entrelacera encore davantage ces destins, l’auteur devenant un Arès tout-puissant. Tout est entremêlé, les États-Unis jouant les justiciers masqués, force servant avant tout ses propres intérêts qui se profile dans tous les conflits mondiaux majeurs autour desquels Phil Klay tisse la trame des Missionnaires. Les différents groupes armés, réels ou inventés, les différentes factions extrémistes du Moyen-Orient et d’Amérique latine, les mercenaires dépêchés par l’Ouest, les différentes branches de l’armée de la plus vieille démocratie du monde se mélangent, chacun plus violent, plus traumatisant que les autres pour les civils d’ici alors que là-bas, en Occident, personne ne lit plus les papiers des reporters, n’écoute plus les émissions couvrant les guerres interminables, contre la terreur ou contre la drogue – soigner la violence par la violence.

À la fois arabesques écarlates qui se dessinent dans le sable ou dans la jungle et coups de feu, à la fois exigent et animal dans son récit et dans son écriture, ce roman compliqué, parfois presque abscons dans sa volonté de toucher à toutes les facettes de notre géopolitique insensée, choque et force à ouvrir des yeux que certains préféreront garder fermés.

Merci aux éditions Gallmeister qui en contribuant à enrichir aVoir aLire ont également contribué à enrichir Pamolico.

Phil Klay – Les missionnaires
[The Missionaries – traduit par Laura Derajinski]
Gallmeister
6 janvier 2022 (rentrée littéraire d’hiver 2022)
576 pages
26,20 euros

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