Un hôtel, comme souvent dans les livres, luxueux mais bientôt abandonné, semblable à la carcasse vide de Silence Radio ou à ce bâtiment encore habité, ceint de montagnes, dans Hôtel Waldheim. Un hôtel de verre cette fois où gravitent des personnages, entre vie et mort, richesse et ruine – ils oscillent entre deux états, comme embrassant cet équilibre instable qui est celui de la bâtisse toute de baies vitrées, isolée, perdue en pleine nature et pourtant centre névralgique de ce nouveau roman d’Emily St. John Mandel.
L’auteure canadienne débobine la chaîne de causes à conséquences de l’effet papillon, détricote la chronologie et tente de désunir les fils des destins pour mieux signer un récit sombre mais brillant, récit finalement centré sur la crise de 2008. Si trépas il y a, il ne s’agit pas d’un polar à proprement parler, bien davantage d’un roman choral aux multiples facettes, le monde de l’argent se dissipant dans l’air, songe dissous par un réveil brutal. Les existences se sont frôlées et percutées, entre Canada et États-Unis, faisant voler en éclat des futurs et des espoirs. Certains deviennent des vagabonds, quittent le monde de la lumière et des vivants, semblables aux pionniers modernes de Nomadland, quand d’autres échouent en prison, faisant apparaître entre les murs de leur cellule des spectres des temps passés, transformant les barreaux et les cloisons en fenêtres qui donnent sur l’océan ou sur la piscine d’un hôtel de luxe. Les perspectives se chevauchent, les époques se croisent, le temps avance puis revient en arrière et l’ensemble ne fait sens que peu avant la fin, tout se liant peu à peu, déconstruction puis chaîne enfin sans maillon manquant. Malgré des grossières maladresses dans la traduction de Gérard de Chergé, L’hôtel de verre est un livre ambitieux, qui partage quelques caractéristiques avec La soustraction des possibles sans toutefois atteindre l’audace de Joseph Incardona. La finance et ses rouages sont ceux de la narration, l’histoire découle des frictions entre deux univers, la cage dorée et la mer d’incertitude – mais rien n’est jamais trop obscur, si ce n’est la nuit traversée par les héros…
Emily St. John Mandel – L’hôtel de verre
[The glass hotel – traduit par Gérard de Chergé]
Rivages noir
3 mars 2021
397 pages
22 euros
Ils/elles en parlent aussi : Café noir et polars gourmands. Garoupe. Les lectures d’Antigone. Le blog de Krol. Les livres de K79
Attendant avec impatience la sortie poche de La soustraction des possibles, et vu ton billet, je vais pour le moment me contenter de lire l’Incardona !
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D’accord ! L’hôtel de verre se lit assez facilement et il est finalement plaisant, mais je comprends que tu te contentes de l’audace et de l’innovation pure 🙂
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A reblogué ceci sur Le Bien-Etre au bout des Doigts.
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il y a un moment que je désire découvrir l’auteure,j’avais noté aussi « L’hôtel Waldheim »
idem pour Joseph Incardona et « La soustraction des possibles »
le temps passe hélas 🙂
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Ah ça, le temps passe et les titres s’accumulent… mais c’est aussi la certitude de toujours avoir des idées de lecture !
Le Joseph Incardona est plus original, téméraire. L’auteur joue vraiment avec ses personnages et crée une sorte de performance déitique, alors qu’ici nous sommes plus dans le pur roman choral, bien qu’éclaté. Quant à Hôtel Waldheim, il est ancré dans une temporalité plus ancienne et son rythme est plus lent, la narration moins décousue. Mais dans celui-ci comme dans L’hôtel de verre, l’hôtel est la pièce maîtresse du récit 😉
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Je note, ta critique m’a donné envie de découvrir. J’avais beaucoup aimé Hôtel Waldheim…
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Je l’ai mentionné parce qu’hôtel oblige mais ils n’ont, en soi, rien à voir l’un avec l’autre. Là où Valejo imagjnait un quasi huis-clos, Mandel fait tout l’inverse et brouille les pistes, sorte de patchwork infernal et finalement assez réussi.
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J’avais adoré la soustraction des possibles, beaucoup moins celui-ci effectivement.
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Nous sommes dans le même cas alors, même si j’ai quand même globalement apprécié L’hôtel de verre après quelques appréhensions au début…
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Bonjour Céciloule,
Merci pour cette critique. Personnellement j’ai beaucoup aimé ce livre et tu résumes bien le principe.
On retrouve le déroulé de la vie de nombreux personnages avec au milieu la crise de 2008 et l’arnaque dite de la pyramide de Ponzi. Ils ont tous un lien direct ou indirect avec Vincent (la femme) et c’est assez ludique de suivre les évolutions de chacun.
Entre la montée en notoriété de l’un, la descente aux enfers de l’autre, et le cycle de vie de l’hôtel on ne s’ennuie pas 🙂
Beaucoup de personnages, je ne les ai pas tous retenus mais j’ai vraiment trouvé ce livre chouette.
Il me fait un peu penser à Coup de Vent.
Merci encore 🙂
Excellente Journée
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Bonjour Maxime,
J’ai été agréablement surprise après un début un peu laborieux, la traduction m’ayant gênée et l’alternance narrative n’arrivant qu’après plusieurs dizaines de pages.
En effet, le côté roman choral apporte beaucoup et fait même tout l’intérêt du livre : c’est grâce à ces perspectives croisées que l’auteure ménage le suspense et c’est même grâce à elles que L’hôtel de verre existe. Sans cette multitude, il serait bien plat et manquerait à son propos.
Concernant Coup de vent, je suis d’accord, le monde de la finance y est là aussi remis en question, même si L’hôtel de verre n’a pas son mordant ni son cynisme.
Merci de ton passage et à bientôt 🙂
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Je partage ton avis !
Ca faisait longtemps que nous n’étions pas tombés d’accord sur un livre 🙂
A bientôt
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C’est vrai 🙂 en tout cas, je te conseille La soustraction des possibles, meilleur que ce titre ci, plus osé aussi.
À bientôt
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