Nomadland, Chloé Zhao

Les États-Unis, un Nomadland

Nomadland ou un pays de vagabonds, d’hommes et de femmes allant d’un endroit à l’autre, en quête d’or et de lumière, de bonheur. Fern (Frances McDormand), elle, a renoncé à la chaleur d’un foyer, même, semble-t-il à l’espoir d’être à nouveau heureuse un jour. Son mari est mort il y a peu, et elle a été contrainte de quitter Empire, ville rayée de la carte, radiée de l’humanité, à partir du moment où la centrale qui la faisait vivre a fermé. Elle habite désormais dans son van aménagé, baptisé Vanguard, roulant au gré des emplois saisonniers auxquels elle peut prétendre. La caméra ne quitte pas Frances McDormand, sauf pour embrasser les étendues enneigées ou embrasées du pays des rêves et de la liberté. Les travellings suivent sa camionnette brinquebalante, offrant une rupture monotone dans son quotidien qui l’est tout autant, entre désert et entrepôts, crasse humaine et consumérisme auquel elle-même a renoncé. Ses amitiés sont aussi intenses que brèves – ou longues, selon le point de vue. Tous se retrouveront « au bout du chemin », relations entrecoupées de plages temporelles plus ou moins longues, arides et solitaires.

L’actrice est d’une justesse à couper le souffle : ses sourires fragiles, ses larmes rares mais vraies, son besoin d’espace, de grandeur, d’évasion, partout, toujours. Elle confie ainsi : “Dans la peau de Fern, j’ai travaillé aux côtés de vrais ouvriers d’un centre de traitement des commandes chez Amazon, dans une usine sucrière, dans la cafétéria d’un parc touristique et en tant que responsable de camping dans un parc national. Dans la plupart des cas, personne ne me reconnaissait et on me traitait comme n’importe quel autre employé.” Elle a également tenu à intégrer certains éléments de sa propre vie à l’existence modeste de Fern – quelques souvenirs, son métier à tisser, son surnom, Fran, aux sonorités si proches du .

Être seule pour être libre

C’est Frances McDormand, productrice et actrice principale bluffante, qui a sollicité Chloé Zhao pour adapter à l’écran ce livre de Jessica Bruder, Nomadland, rendant ainsi hommage à ces Américains obligés de partir pour l’ailleurs, faisant bientôt de cet exil forcé un mode de vie, une philosophie. Décoller, refuser un toit au-dessus de sa tête et préférer faire corps avec le ciel, la mer, le désert, se perdre dans les couleurs du crépuscule, crier dans le vent, grelotter dans le froid. Fern a la solitude pour seule sempiternelle compagne là où ceux qu’elle croise vont et viennent, semblables au flux et au reflux des vagues, tantôt là, tantôt plus. Les dialogues sont rares, l’humilité des plans et des acteurs étant soulignée par la simplicité noble de morceaux de piano composés par Ludovico Einaudi – à qui l’on doit notamment la bande-originale d’Intouchables.

L’âpreté s’adoucit dans la deuxième partie de Nomadland, Ken Loach américain et féminin, quelques moments de tendresse apparaissant dans cette toundra émotionnelle et géographique désolée que ces laissés-pour-compte considèrent comme leur chez-eux. Puis le long-métrage s’assèche à nouveau, le passé de Fren rejaillissant dans son présent, ville fantôme et bâtiments hantés par les courants d’air.

C’est une réalisation sombre, éprouvante, lente, taiseuse, où les regards en disent plus que les actes, sans doute plus proche du docu-fiction que du long-métrage purement fictionnel. Les nomades sont ainsi des acteurs d’un jour, véritables vagabonds errant vainement sur les terres inviolées, ou si peu. Toujours est-il que, pour ce film, Chloé Zhao a remporté quatre BAFTA (meilleur film, meilleure réalisatrice, meilleure actrice et meilleure photographie), trois Oscars (meilleure réalisatrice, meilleure actrice et meilleur film) et deux Golden Globes (meilleure réalisation et meilleur film dramatique).

De : Chloé Zhao
Avec : Frances McDormand, David Strathairn, Gay DeForest
Genre : Drame
Durée : 1h48
En salles le 9 juin 2021

Ils/elles en parlent aussi : Avis 2 femmes. Jipehel. Super Marie blog Phantasmagory. Nom d’un bouquin !. Sea you soon. On se fait un ciné. Culture aux trousses. Patates des ténèbres. Le 7ème café. Les chroniques de Cliffhanger et Co. Écran noir – London. Ciaovivalacultura. Le tour d’écran. MHF le blog. Sous un autre angle avec un certain regard. Larroseurarrose. Confitures et cinéma. La revanche du film. Planet Sasha. Cinéphiles 44. Pigraï. Animal lecteur. In the mood for

31 réflexions sur “Nomadland, Chloé Zhao

  1. Ping : Les raisins de la colère, John Steinbeck – Pamolico – critiques romans, cinéma, séries

  2. Ping : L’hôtel de verre, Emily St. John Mandel – Pamolico – critiques romans, cinéma, séries

  3. Vampilou fait son Cinéma

    C’est un film que j’attendais avec une grande impatience, ayant déjà adoré la performance de Frances McDormand dans « 3 Billboards », malheureusement, aucune sortie dans mon cinéma local…

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  4. regardscritiquesho22

    « Nomadland »de Chloé Zhao…
    La première réflexion est qu’il s’agit d’un film magnifique, superbe, de toute beauté, empli d’une tristesse infinie, mais aussi d’une certaine forme de bonheur et d’une grande philosophie de la vie. Ce film est aussi indissociable de son rythme, élément essentiel de la narration de cette histoire.
    Le film est un road-movie: Fern, sexagénaire qui a tout perdu, son mari, mort d’un cancer, son boulot, car l’usine dans laquelle elle travaillait a fermé ses portes dans une ville sinistrée, décide de tout laisser en plan et de prendre la route dans son van à la découverte du grand ouest américain et des routards qui le sillonnent. Le film est d’une tristesse infinie, d’une grande nostalgie, le personnage vivant constamment dans le passé, dans une solitude extrême. Tous les personnages rencontrés sont naturellement des laissés pour compte du système économique américain, mais aussi des écorchés vif, prédestinés à cette vie d’errance et de contemplation. L’émotion est permanente et on a sans cesse les larmes aux yeux. Les divers personnages rencontrés sont magnifiques, marginaux dans la société, en rupture de ban, mais ce sont de belles personnes, des êtres d’une gentillesse infinie. Les rapports humains sont chaleureux et le film est éloigné de toute violence. Le film est dur, laissant souvent un goût de cendre dans la bouche.
    Mais la grande qualité du film est sa dualité. Les personnages sont aussi des contemplatifs, à la recherche de la beauté, une beauté personnelle, mais pas seulement, ils recherchent également la beauté du cosmos, dans lequel ils se fondent. A cet égard le film est magnifique, les paysages grandioses de l’ouest américain étant un élément essentiel du film comme la poésie qui les imprègne. Les éléments ont aussi un rôle prépondérant: couchers de soleil, montagnes somptueuses et puis le cosmos, l’air, la terre, le feu, qui débouchent sur de longues réflexions sur la mort, sur le passé, sur le temps qui passe. On n’est pas loin finalement du mouvement hippie, même si les circonstances historiques sont très différentes. On pense aussi à Steinbeck, « Des Souris et des Hommes », mais surtout aux « Raisins de la colère ». On est en pleine Amérique profonde, mais ces routards sont très loin d’être des « rednecks », ils en sont même l’opposé.
    Le rythme du film est d’une lenteur voulue, on sent vraiment le temps passer. On erre entre les parkings pour vans, les endroits éclairés de la nuit, les restaurants, la malbouffe, bref, le rythme transcende l’atmosphère. Dernier point, le film ne tiendrait pas la route -c’est le cas de le dire!- sans l’actrice, Frances McDormand, à la riche carrière remplie de chefs-d’œuvre, dont le magnifique « 3 Billboards : les panneaux de la vengeance ». Elle est l’âme du film, débordante d’émotion, pleine d’empathie pour tous les personnages qu’elle rencontre, souvent dans la contemplation, et qui finira, à la fin, par faire le deuil de son passé.
    Au total, un film magnifique, encore une fois, à juste titre multi récompensé.
    On the Road Again…

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  5. Bravo Cécile pour ce sublime texte dédié à un film qui ne laisse pas insensible. Même si j’ai quelques réserves, je reconnais volontiers le talent de Chloé Zhao, sa capacité à capter l’authentique, à embrasser le pittoresque. Elle est ici magnifiquement secondée par son chef opérateur habituel, mais également par une interprète que l’on sent aussi investie que lorsqu’elle dénonçait déjà les travers de l’Amérique sur de grands panneaux publicitaires.

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  6. Bonsoir Ceciloule,

    J’ai justement vu ce film ce week-end.
    Certes, les scènes, les jeux de caméra, les décors sont d’une justesse exceptionnelle. L’actrice est fabuleuse mais le film est lent et poussif je trouve.

    J’ai été un chouilla déçu car à la vue de ses récompenses j’en attendais plus.

    L’actrice et la réalisation donnent du peps à de plates péripéties.

    Dans l’attente de vous lire à nouveau,

    Je vous souhaite une excellente soirée

    Cordialement,
    🙂

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    1. Bonjour Max,
      Poussif, oui, il l’est sans doute un peu, même si je pense que c’est un choix assumé de Chloé Zhao. On ne peut pas parler de péripéties, mais le but du film est tout autre, ce n’est pas un simple divertissement mais davantage un hommage, une sorte de docu-fiction, ce qui le rend d’ailleurs si fort.
      Merci de ce passage et à bientôt 🙂

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  7. J’adore le cinéma de Chloé Zhao. Frances McDormand est une actrice incroyable, d’une justesse rare. Je regarderais Nomadland c’est une certitude car ce film semble très juste dans son analyse des maux de l’Amérique. Merci pour ce très beau retour Cécile car on sent que ce film t’as touché en plein cœur. Belle soirée Cécile 😊

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    1. Jz voulais voir The Rider mais les jours ont passé et il n’est plus sur le replay d’Arte… donc c’était une première !
      C’est dur, vraiment, juste aussi, et assez particulier dans sa lenteur mais c’est indéniablement touchant, tu as raison.
      Merci à toi de me lire et je pense pouvoir dire que ce film te plaira, en effet. Bonne journée à toi et bon week-end 😊

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