Avec la même finesse que dans ses romans, Nathacha Appanah essaie de comprendre ses racines, creuse la terre sombre de l’Île Maurice pour découvrir l’entrelacs qui a mené à ses grands-parents, puis à ses parents, puis à elle-même. Elle tente de se souvenir de ce qui est advenu avant elle, comme si son corps, ses veines témoignaient de ce qu’ont vécu ses ancêtres coolies. Avant qu’elle entreprenne cette quête mémorielle, ses pensées avaient épuré ce passé lui étant étranger, avait assagi les couleurs, effacé la misère – mémoire délavée qu’elle ne comprend pas avoir pu faire sienne.
Ceux qu’elle appelle ses « trisaïeuls » furent leurrés, quittèrent volontairement l’Inde pour Port-Louis, pour les plantations mauriciennes de canne à sucre, engagés qui remplacèrent les esclaves, trimant et trimant encore. Où que ce soit, on ne parle pas de l’engagisme, de ce qui fait pourtant partie de notre histoire, mot que les correcteurs veulent même remplacer, comme obstinément ignorants de ce lourd passé.
L’autrice évoque ainsi certains de ses propres souvenirs et d’autres qu’elle emprunte aux fiches des archives, à ses proches pour restaurer la mémoire des siens. Elle évoque la plantation, le peu qu’elle sait sur ses ancêtres qui menèrent à ses grands-parents, à ce qu’ils ont vécu avant sa naissance puis à ce qu’elle, elle connaît. Elle raconte son enfance auprès d’eux, les fait revivre en quelques mots soigneusement soupesés, simples mais vibrants d’énergie et d’émotions. De ses pages jaillissent leur dignité, leur rire discret et leurs us qui n’appartenaient qu’à eux. Comme leur maison, ils étaient « à la fois doux et ancien(s), fragile(s) et résistant(s) » – en témoignent ces moments d’enfance que nous confie l’autrice et que nous recevons en ayant conscience de notre chance, le cœur gros.
Avec beaucoup de pudeur, presque sur la pointe des pieds, Nathacha Appanah entretisse images textuelles et photographies aussi subtiles que sa plume, hommage à ses racines et à sa famille, d’aujourd’hui et d’hier, tout en dénouant avec peine les fils qui conduisent à effacer certains héritages, à oublier les noms, à ne plus prier ses dieux, à remplacer un alphabet par un autre, à délaver la mémoire.
Ce récit fait partie de la première sélection des Prix Renaudot et Femina 2023.
De la même autrice sur Pamolico : Rien ne t’appartient ; Le ciel par-dessus le toit
Nathacha Appanah – La mémoire délavée
Mercure de France
31 août 2023 (rentrée littéraire d’automne 2023)
160 pages
17,50 euros
Ils/elles en parlent aussi : Les livres de Joëlle. Vagabondage autour de soi. Inde en livres. Mot à mots. Paul Tian. D’autres vies que la mienne. Sur la route de Jostein. Les livres d’Ève. Les pages qui suivent. Joelle books
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Très beau billet ! Je l’ai lu et aimé aussi, même si peut-être un peu moins que toi.
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Je n’ai pas vu ton billet !
J’ai surtout été très touchée par la démarche de l’autrice et par ses mots. Je l’ai lu avec le sentiment d’avoir de la chance qu’elle nous confie tout cela.
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En effet, une bien belle manière de rendre hommage, avec le sens de témoigner, tout en ne laissant aucune zone d’ombre. Un récit sensible, à découvrir vraiment ! Merci pour le lien !
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Très bien résumé !
Avec plaisir 😉
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A découvrir, assurément ! Merci pour ce retour qui donne envie de retrouver cette écriture !
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C’est un livre très fin et très touchant, que je te conseille effectivement ! Merci à toi !
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J’ai hâte de le lire! merci Cécile ⭐
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Merci à toi !
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🖤🤍
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