Arcadia, Lauren Groff

Dans Arcadia, Lauren Groff imagine une utopie qui dégénère avant de redevenir l’îlot refuge, cocon vert bientôt englouti par le monde. En 1968, l’année du Summer of love, la communauté survit encore, rempart qui subira bientôt le même sort que San Francisco, envahie de plastic hippies, ces gens en toc qui colonisent l’Arcadie, souillent le mantra peace and love. Il faudra alors accepter les buildings, le ciment et le béton, le bruit et les couleurs vives de la ville, ses goûts sucrés, paradoxalement trop ternes par rapport aux teintes des fleurs et de la mousse, du ciel et des myrtilles sauvages. Des années plus tard, une pandémie frappe le monde, Arcadia redevenant le seul endroit en retrait de la frénésie – en 2011, Lauren Groff, visionnaire, prédisait le Covid 19 pour mieux replonger dans les clairières.

Pouce n’a pas cinq ans quand s’ouvre le roman. L’autrice le suit ainsi à plusieurs âges de sa vie, créant un personnage infiniment touchant, plein d’amour, le cœur trop gros et trop fragile pour le monde qui l’attend. Il grandit au fil des pages, adolescent puis père protecteur mais triste, le regard brouillé par la nostalgie et par la douleur. La perte est omniprésente dans Arcadia mais c’est pourtant un roman d’une grande douceur, aussi gracieux que l’est Matrix, utopie d’un autre genre, dernière-née de Lauren Groff. Pouce cherche le bonheur dans chaque petite chose de la vie, le joyau caché sous le voile de la tristesse.

« Prêter attention aux choses, pense-t-il. Pas aux grands gestes, au souffle fugitif. » (page 359)

L’innocence enfantine du premier tiers est d’une justesse bouleversante, le jeune héros étant fait de cette chair tendre et élastique qui est celle des bambins, loin des feuillets craquants et de l’encre des personnages de papier. La nature semble avoir fusionné avec la plume de l’autrice, accouchant de métaphores qui mêlent les règnes. Les paréidolies fleurissent sur la page ; la forêt se pare d’attraits humains tandis que les protagonistes empruntent certains de leurs atours aux plantes et d’autres aux géants, aux génies et aux gnomes des frères Grimm. Les mots de Lauren Groff sont empreints d’une magie du quotidien, du sacré d’un banal étrange. Ils forment un écrin aux relations familiales et amoureuses, aux premiers émois faisant flancher les cœurs pour l’éternité – y compris celui du lecteur.   

Un grand merci aux éditions de l’Olivier pour ce coup de cœur.

Crédit photo : l’illustration provient du livre Les contes de Grimm chez Grund (illustrés par Adolf Born)

Lauren Groff – Arcadia
[Arcadia – traduit par Carine Chichereau]
L’Olivier
6 janvier 2023 (réédition) (rentrée littéraire d’hiver 2023)
368 pages
11,90 euro

Ils/elles en parlent aussi : D’autres vies que la mienne.

4 réflexions sur “Arcadia, Lauren Groff

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