Matrix, Lauren Groff

Lauren Groff écrit ici Marie de France, poétesse du XIIème siècle, « première femme de lettres à écrire en français », lui bâtit un personnage, tisse les ombres, emplit de lumière les secrets qui font de Marie un mystère. Née d’un viol, probablement demi-sœur de Henry II d’Angleterre, elle est ici envoyée dans une abbaye par Aliénor d’Aquitaine, éloignée du fait de sa laideur et de l’inconvenance de la Reine à son endroit. Marie est exilée, meurtrie, le cœur douloureux de cette mise à l’écart, des adieux à Cécile, sa servante qu’elle aime tendrement, et à sa souveraine pour qui elle brûle d’une passion subjuguée. Malgré tout, peu à peu, cette abbaye se transforme en chance – sa chance de devenir quelqu’un, d’attirer à elle l’attention d’Aliénor. Puis elle prend la forme d’un véritable foyer peuplé de sa famille, de ses sœurs – d’une matrice chaude et rassurante où elle peut s’épanouir en tant que femme, oubliant son physique, sa taille et son manque de grâce. Gracieuse, elle le devient par les mots de Lauren Groff qui mêle éléments biographiques, détails monastiques et récits tenant presque du contes, allégories dans lesquelles la Bible aurait été estompée, floutée par un filtre féministe. La spiritualité qui se dégage de Matrix est empreinte d’une modernité presque indécente mais qui se pare pourtant d’un vernis sacré. L’autrice américaine parvient à faire d’une vie de silence et de piété un livre plein de clarté, lent mais exalté, fulgurant dans ses métaphores inspirées. Ses phrases se font chantantes, tantôt brèves tantôt longues, subtilement traduites par Carine Chichereau.

La plume de Lauren Groff est habitée, vibre d’une énergie mystique et lumineuse qui incarne tous ses mots, insufflant la vie à l’encre et au papier. Les décors naissent les uns après les autres, les arbres se dressent hors de la page, nimbés de brume, masquant les murs de pierre de l’abbaye qui, finalement, émergent à leur tour du roman, sombres et menaçants. Les nonnes qui peuplent ce récit, les tantes de Marie et la Reine éclipsent toute silhouette masculine, formant un chœur féminin qui nourrit l’ambition et le cœur de l’héroïne, faisant naître sa foi. Lauren Groff fait dialoguer le prosaïque et le céleste, ses images poétiques parant Matrix d’une aura divine, roman oxymorique, presque impie mais plein de grâce.

Un grand merci aux éditions de l’Olivier qui en contribuant à enrichir aVoir aLire ont également contribué à enrichir Pamolico.

Lauren Groff – Matrix
[Matrix – traduit par Carine Chichereau]
L’Olivier
6 janvier 2023 (rentrée littéraire d’hiver 2023)
304 pages
23,50 euros

Ils/elles en parlent aussi : Aline a lu. Aire(s) libre(s). Tours et culture

5 réflexions sur “Matrix, Lauren Groff

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