La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé, Xavier Dolan

À la mort de Mado Larrouche, les fureurs qui couvent depuis si longtemps se déchaînent, tourbillons qui entraînent les quatre enfants qu’elle laisse derrière elle, désormais adultes. Julien, Denis et Eliott se débattaient déjà dans leur vie avant ce décès, le petit dernier en centre de désintox, l’aîné divorcé et malheureux, le cadet hanté par des réminiscences cauchemardesques, flashs nocturnes qui le harcèlent. Après le dernier soupir de leur mère, Mireille revient, la fille bannie à l’adolescence, chassée puis tenue à distance par ce qui s’est passé, les tensions, les cris, les regards noirs, la rancœur. Eliott était trop petit et ne se souvient de rien, Denis, trop grand, et trop préoccupé par sa jolie fiancée. L’électricité qui flotte dans l’air quand Mireille et Julien sont dans la même pièce, les corps qui se raidissent, les pupilles qui se dilatent sont autant d’indices qui ne trompent pas. Bien vite, les analepses permettent d’entrevoir une réalité biaisée, elle-même laissant filtrer des bribes de ce qu’elle dissimule. La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé, le destin des Larrouche a basculé – ce prénom végétal flotte dans l’atmosphère, revient comme un fantôme dans les conversations, crispant chacun, ceux qui savent et ceux qui croient savoir.

Xavier Dolan adapte une nouvelle fois une pièce de théâtre, cette fois signée Michel-Marc Bouchard, s’attardant comme à son habitude sur une famille fracturée par une tectonique des plaques souterraine qui plisse la Terre. Le format sériel permet au réalisateur québécois d’élargir l’intrigue, de l’étirer puisqu’elle était condensée en une seule nuit dans la pièce originelle. Il lui donne l’opportunité d’approfondir son étude des personnages, de donner toute son ampleur au récit, de s’appesantir longuement sur les relations des Larrouche et sur les origines de la nécrose. Les visages expressifs des acteurs laissent filtrer toute leur douleur retenue, tous les non-dits qui couvent et menacent plus que jamais d’éclater maintenant que Mado, Anne Dorval, la mère fétiche de Xavier Dolan, n’est plus. Tous sont touchants dans leur psychose, leurs névroses, mais c’est sans doute Eliott, incarné par le réalisateur lui-même, qui est le plus émouvant, un innocent sur qui pèse pourtant une chape de plomb invisible, « un enfant de la dernière chance sur qui on a projeté beaucoup d’espoirs et de rêves qui est finalement une déception pour tout le monde. »

Les flashbacks sont soigneusement distillés, donnant corps à la jeunesse des héros, cristallisant peu à peu le moment de bascule et permettant aux protagonistes d’acquérir une profondeur qui leur aurait manqué sans cela. La poétique de la caméra de Xavier Dolan – les jeux sur la transparence, les ombres, les silhouettes – se devine, là simplement pour souligner certains aspects de l’histoire, pour embellir la laideur parfois noble de l’âme humaine.

De : Xavier Dolan
Avec : Julie LeBreton, Patrick Hivon, Xavier Dolan, Eric Bruneau, Anne Dorval
Année : 2023
Nombre d’épisodes : 5
Durée moyenne : 60 minutes
A voir sur Canal +

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