L’automne est la dernière saison, Nasim Marashi

Nasim Marashi donne vie à trois jeunes femmes à un moment charnière de leur vie, entre université, premier emploi, envie de rester et désir de fuir, au-delà des coquilles et des dialogues parfois peu fluides. L’automne est leur dernière saison, celles des morts symboliques microscopiques et des grandes fins, si similaires à celles que l’autrice à elle-même vécues. Leyla, Shabaneh et Rodja se relaient, leur voix prenant la parole à tour de rôle, leurs tourments et leurs doutes emplissant le roman. Amies depuis l’université, chacune doit dire adieu à son existence précédente, à un mari parti, à un pays, à un frère. L’autrice s’intéresse davantage à ses trois héroïnes qu’à l’Iran où elles vivent, ne s’appesantissant jamais sur les raisons de ces départs qui se multiplient, ni même sur ce qui différencie ce pays du nôtre. Si elles sont prises dans le carcan de leurs choix, ses narratrices semblent libres, simplement prisonnières de leurs désirs qu’elles ne parviennent à cerner, jamais d’une puissance extérieure. La répression n’existe pas dans ces pages, seuls des échos d’une guerre lointaine retentissent dans les souvenirs de Shabaneh. Des réminiscences s’immiscent ainsi dans le quotidien, rompant la narration sans préavis – un détail fait régulièrement rebondir la temporalité, rappelant son passé à l’une des protagonistes.

L’automne est la dernière saison est un portrait en triptyque de la jeune féminité téhéranaise, éduquée et pleine de soifs contradictoires, mais où jamais ne se sent naître la rébellion qui agite aujourd’hui ce pays. En fouillant le web, d’aucuns comprendront que ce roman a été primé en Iran et qu’il est donc passé par le filtre de la censure, que l’autrice a dû « louvoyer » pour l’écrire. Elle le confie elle-même au journal La Croix dans une interview à lire ici : « En temps normal, être écrivain, c’est se concentrer sur la langue, se demander si le mot est juste, s’il n’y a pas plus approprié… Mais en Iran, vous devez penser aux lignes rouges. Vous vous censurez. Cela vous détourne du véritable propos de la littérature. » Ce qui est donc plus difficile à comprendre, c’est l’absence de préface, de note expliquant ce cadre flou, ces indices à peine cernables, les voiles tout juste évoqués alors que Nasim Marashi avoue vivre le port du hijab comme un traumatisme, d’autant qu’elle a séjourné plusieurs mois en résidence artistique en France, invitée par Zulma, son éditeur. N’est-ce pas détourner le regard de ce qui se déroule, de la censure que de publier un tel livre sans ajout, sans explication ?  

Ainsi, malgré la frustration qu’il y a à lire un livre iranien sans parvenir à saisir l’atmosphère, l’oppression, le besoin de justice et de liberté, peut-être est-ce justement cela la force de ce premier roman – nous rappeler que Téhéran est une capitale comme les autres, peuplée de femmes tourmentées par les mêmes préoccupations que n’importe quelle jeune trentenaire.

Merci à Zulma pour cette lecture.

Nasim Marashi – L’automne est la dernière saison
[traduit par Christophe Balaÿ]
Zulma
12 janvier 2023 (rentrée littéraire d’hiver 2023)
272 pages
22 euros

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5 réflexions sur “L’automne est la dernière saison, Nasim Marashi

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  2. En littérature iranienne, j’ai lu et aimé les romans de Zoya Pirzad, chez Zulma aussi et je pense que le fait qu’ils relatent (très bien) des faits assez quotidiens et « inoffensifs » doit aussi au filtre de la censure. Toutefois, le sachant, je lirais bien ce roman tout de même.

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    1. Le tout est effectivement de le savoir avant de commencer la lecture. Ici, même le quotidien semble avoir quelque chose de faux, d’estompé, et l’impression est étrange… de fait, je ne sais même pas vraiment si ce roman dit réellement quelque chose de la vie des jeunes femmes iraniennes d’aujourd’hui.

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