Armageddon Time, James Gray

Après avoir visité la jungle et l’espace, James Gray retourne chez lui et raconte l’Armageddon de son enfance, faisant de Michael Banks Repeta le double fictionnel de celui qu’il fut à dix ans. En 1980, alors que Paul Graff, sa persona dans ce long-métrage, rentre en sixième dans un collège public du Queens, il se lie d’amitié avec Johnny, un garçon Noir. La famille Graff, comme celle du réalisateur, est juive et les arrière-grands-parents de Paul sont arrivés d’Ukraine après les pogroms – tous les Graff connaissent la persécution, transmise par les mots d’Aaron, le grand-père de Paul qu’il chérit, et par la mémoire génétique. Pourtant, s’ils ne sont pas racistes, ils s’efforcent d’éloigner le préadolescent de Johnny, trublion qui l’entraîne dans toutes ses bêtises. Le jeune héros, comme James Gray avant lui, ne réalise pas vraiment que les conséquences ne seront pas les mêmes pour lui, un petit blanc aux grands yeux d’ange, que pour ce garçon à la peau sombre incarné par Jaylin Webb. Paul est songeur, tête dans les nuages et pieds sur terre, happé par ses fantasmes de célébrité artistique tout autant que par les toiles de Kandinsky et que par ses cahiers de dessins. Un artiste naît, aussi égoïste que le gamin qu’il est et que le créateur qu’il devient, sous le regard désabusé de ses parents. Paul et Johnny font les quatre-cents coups, s’enfuient d’une visite au Guggenheim Museum et sont même retrouvés en train de fumer dans les toilettes du collège. Là s’amorce la bascule du film, comme une césure à l’hémistiche : les jeux d’enfants sont finis et les galopins seront traités plus sévèrement – toujours avec ce décalage racial et raciste –, comme les adultes miniatures qu’ils sont déjà.

Armageddon Time – parce que l’apocalypse était annoncée par Ronald Reagan pendant cette campagne présidentielle qui se déroule en filigrane, parce que Paul/James doit quitter ses copains et apprendre de dures leçons de l’existence alors que sa mère s’éloigne, que son grand-père, le sage Anthony Hopkins, vieillit, parce qu’il comprend l’injustice de la vie et du monde, plus particulièrement celle des États-Unis racistes pourtant alors déségrégués depuis plus de vingt ans. Ce récit d’apprentissage est touchant malgré les réponses assurées et insolentes du héros : ses rêveries, son esprit lunaire et ses espoirs d’artiste bohème le transforment en un personnage doux malgré tout. Ses frasques font sourire et rappelleront des souvenirs aux moins sages d’entre nous. En effet, à travers cette histoire universelle d’amitié contrariée par les aléas de l’Amérique et ses iniquités, James Gray arrive à s’adresser à chacun, au-delà des circonstances sociales endémiques au pays de l’American Dream. Plus que lui-même et sa mémoire qu’il traque, sa culpabilité qu’il extériorise, c’est tous les enfants des années 1970 qu’il interpelle. La photographie surannée, également portée par la séparation genrée des tâches, par le sourire écarlate d’Anne Hathaway et ses jupes d’hier, accentue ce voyage temporel. Les couleurs qui tirent sur le sépia et l’image grainée ajoutent un charmant côté désuet au long-métrage, lequel l’adoucit et le rend plus dur tout à la fois.

De : James Gray
Avec : Anne Hathaway, Jeremy Strong, Banks Repeta, Jaylin Webb, Anthony Hopkins
Genre : Drame
Durée : 1hh55
En salles depuis le 9 novembre 2022

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10 réflexions sur “Armageddon Time, James Gray

  1. Je ne vais pas te surprendre en te dévoilant ma passion inconditionnelle au cinéma de James Gray. J’ai vu absolument tous ses films et la majorité d’entre eux au cinéma. Son dernier long métrage, le plus autobiographique, aborde la question de la transmission, de la mémoire qui s’accumulent en strates où comme les cernes d’un arbre. Hopkins (fabuleux) parle à son petit-fils des pogroms en Ukraine, de cette nouvelle vie aux Etats-Unis où l’antisémitisme gangrenait tout comme en Ukraine et ailleurs, la société américaine en profondeur. Paul n’écoute pas vraiment son grand père, pour lui ce passé est incompréhensible. C’est un jeune américain qui ouvre les yeux sur les différences de traitement entre lui et son ami noir. Quand il se rend compte que Johnny ne pourra jamais réaliser son rêve de travailler pour la Nasa alors que lui petits-fils d’un grand père qui lui-même a été confronté au racisme, la vérité que Paul découvre, ce racisme reçu en pleine face, jamais il ne l’oubliera. Beaucoup de tendresse et d’amour entre ce grand-père et son petit-fils. Les acteurs sont formidables. J’ai adoré ! 😊

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  2. Voilà un retour qui dit tout haut tout le bien que j’ai pensé tout bas en regardant le film. L’ombre de Truffaut n’a certes jamais été très loin de James Gray dans chacun de ses films (et particulièrement dans « Two Lovers ») mais il va sans dire qu’il y a du Doinel chez le petit Paul Graff. Comme tu l’écris très bien, James Gray parvient dans sa chronique à partager l’intime avec l’universel, liant les problématiques familiales au contexte social et politique de l’époque, et dont on perçoit encore l’écho aujourd’hui à travers certains noms.
    Pour moi, un des plus beaux films de James Gray, si ce n’est le plus beau.

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  3. Maximelefoudulivre

    Hello,
    Merci pour la critique !
    Je suis d’accord avec ton analyse. J’ai observé la même chose avec un retour dans le passé bien mis en scène, des acteurs géniaux et un scénario prenant (je n’ai pas vu le temps passée).
    C’est une belle manière de faire une autobiographie sans réellement en faire une.
    Au plaisir

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