Autoportrait en chevreuil, Victor Pouchet

Elias est fils de magnétiseur. Depuis tout petit, cet héritage pèse sur ses épaules, il fait avec, endure les exercices imposés par celui qui l’élève. Il vit son enfance dans l’ombre, l’ombre des paroles de son père, de ses discours angoissants et peu compréhensibles, troubles, de ses diatribes sur les ondes scalaires, de ses prophéties inquiétantes et de ses absences dans la cabane au fond du jardin. Tout ce qu’il sait, c’est que ses ondes sont négatives, qu’il doit s’en « libérer », c’est qu’il a un brocard pour animal totem. Alors il peint son autoportrait en chevreuil, raconte, repense à son passé et le mêle au présent de sa rencontre avec Avril. Le temps qui passe a adouci les angles de sa mémoire, a poli les clichés vieillis qu’il repasse dans sa tête. Les brèves entrées datées du journal d’Avril prennent ensuite le relai, donnant une autre image d’Elias, de cet homme étrange et blessé, marqué à jamais par son enfance atypique auprès de ce père bizarre, de sa belle-mère silencieuse et de son petit-frère « montagne » – et par l’accident. Enfin, la dernière dizaine de pages est consacrée au monologue de ce médium qui parle trop, qui explique, justifie, se confie.

Autoportrait en chevreuil s’inscrit ainsi dans une volonté d’aborder des thèmes lourds – la relation d’un père et de son fils, le besoin de s’émanciper, de s’éloigner de l’influence et des mots blessants de cet homme qui lui fait un peu peur – mais dans un style léger et décalé, à la fois terre-à-terre et aérien. En cela, il est le digne (et seul) représentant de Finitude en cette rentrée littéraire 2020, maison d’édition dont le catalogue avait déjà abordé l’enfant qui pousse de travers avec En attendant Bojangle. Autoportrait en chevreuil, livre touchant, est né du hasard, d’une rencontre bretonne étonnante. Victor Pouchet, en croisant la route d’un médium au pied de dolmens, a choisi de raconter l’histoire imaginaire de son fils imaginaire. Avec des mots ascétiques et percutants, des phrases prosaïques et répétitives, pleines d’une douce et réaliste simplicité, l’auteur signe un deuxième roman où l’action est comme ralentie, assourdie, un roman tendre et lent qui a la maladresse touchante des débuts – sans pourtant être un coup d’essai.

Merci aux éditions Finitude qui, en contribuant à enrichir aVoir aLire, ont également contribué à enrichir Pamolico.

Crédits photographie : l’article du Guardian sur Bas Jan Ader

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