Ici, les lions, Katerina Poladjan

Katerina Poladjan, l’autrice de ce roman, est allemande, comme son héroïne, Helen Mazavian. Les origines arméniennes de cette dernière, sa curiosité ambivalente et son métier de restauratrice de livres anciens la conduisent à Erevan, ville où elle se fond peu à peu, à la fois étrangère et familière à l’atmosphère de la capitale, entre tensions et pétillance festive. Les hommes et les femmes qu’elle rencontre portent tous quelque chose de l’Arménie en eux, un pan de son présent ou de son histoire, faits de souffrances et de patriotisme. Centre de ce roman, les archives où Helen travaille recèlent de trésors – elle a pour mission de restaurer un évangéliaire qui a parcouru les décennies, porteur de vies individuelles et du destin d’un état-nation. Entre deux déambulations dans la ville, deux fêtes ici et là, après ses journées de reliure minutieuse dont les descriptions sonnent comme une langue étrangère mélodique à l’oreille du lecteur, Helen imagine ainsi la fuite d’Anahid et de Hrant, deux enfants nés avant 1910 qui ont griffonné dans les marges de la « bible de guérison », y inscrivant aussi leur nom. Des bribes de leur errance, presque un conte relaté par Helen, se mêlent au récit de son quotidien arménien qui prend forme peu à peu, se matérialise.

Ici, les lions est un roman marqué par une singularité piquante, épicée d’un ailleurs, d’une « inquiétante étrangeté ». Par plusieurs biais, par à-coups, Helen découvre une culture qui aurait pu être la sienne, se laissant porter autant qu’elle enquête timidement sur ses origines, à l’affût de ce qu’elle entend et de ce qu’on lui explique, des rencontres avec les locaux, d’un certain cosmopolitisme ambigu. La Turquie et la Russie sont là, font entendre leurs idiomes en bruits de fond, mais sont tenues en respect par le lion arménien, emblème de Levon, un roi disparu qui a donné son nom à un soupirant secret qu’Helen fréquente. La narration à la première personne rend ce livre à la fois fluide et heurté ; dans les premières pages, il semble ainsi bâti sur des associations d’idées qui contribuent à incarner Helen, à faire naître son esprit et sa personnalité. Elle se cherche et cherche les siens, ou peut-être simplement des récits, fictifs ou réels, pour nourrir sa mythologie familiale, si obscure.

Merci aux éditions Rivages pour cette lecture.

Katerina Poladjan – Ici, les lions
[traduit par Corinne Gepner]
Rivages
3 mai 2023
283 pages
22 euros

Ils/elles en parlent aussi : Livrepoche. Wukali. Miriam. Ju lit les mots. Marie

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